Je vais vous raconter une petite histoire, une histoire de stylo-plume ... Préparez les mouchoirs, elle est un peu triste. Peut-être même dois-je dire "âmes sensibles s'abstenir", il y a des images choquantes.
Alors tout commence au début des années 1980 ...
Un stylo-plume tombe d'un sac ou est oublié sur la caisse, l'histoire n'a pas retenu. Toujours est-il que ce stylo-plume, un Waterman de base comme il y en a eu des milliers à l'époque, se retrouve dans un tiroir du bureau du gérant du magasin, à attendre que son propriétaire vienne le réclamer. Après tout, il est gravé "Difor", il doit être un peu plus particulier que d'autres, non ? Son propriétaire viendra bien le récupérer ...
Une petite fille traine souvent dans le bureau, fouille dans les tiroirs, inspecte le contenu qu'elle connait par cœur, et bientôt ce stylo tout beau, tout lisse, tout argenté, ce stylo-plume devient l'objet de toute sa convoitise :
"Dis papa, je peux l'avoir ce stylo, steuplé" ? demande-t-elle inlassablement.
"Non, je ne peux pas te le donner, si son propriétaire vient le chercher, je dois lui rendre, regarde, il est gravé, ce n'est pas n'importe quel stylo" répond le père, inlassablement ...
Et le temps passe, 1984 n'est pas que le titre d'un livre de George Orwell, c'est aussi la rentrée en 6ème de la petite fille. Sur la liste des fournitures figure "stylo-plume obligatoire". Après tout, ça fait plus d'un an que le stylo est dans ce tiroir, le ou la propriétaire ne viendra plus ... Le père le donne à sa fille, pour sa rentrée au collège. Le stylo-plume commence alors sa vie de stylo d'écolier, à remplir au bleu effaçable des lignes, des pages, des cahiers de français, de maths, d'histoire-géo, d'anglais, de sciences naturelles et sciences physiques ...

Le temps passe, la petite fille devient jeune fille, entre au lycée. Les cahiers deviennent classeurs, mais les lignes, les pages continuent de se remplir grâce au stylo-plume de mots, de phrases, de paragraphes, de symboles mathématiques et formules de sciences, accompagné par d'autres compagnons de route en plastique (mais jamais de Stypen o_Ô ) remplis de couleurs variées, grâce aux cartouches "Pelikan 4001". Et le bac n'est qu'une formalité pour le vaillant stylo-plume, toujours en pleine forme malgré les années et les différents passages par (dans le désordre) le violet, le bleu des mers du sud, le bleu-noir et le Havane.
Le temps passe, le stylo-plume a traversé la France pour accompagner la jeune fille en prépa, puis à la fac où il l'a aidée à remplir des pages, des pages et des pages de définitions, propriétés, lemmes, théorèmes, corollaires et leurs démonstrations ... Il est là aussi, fidèle, pour passer le concours avec elle. Les compagnons de plastique ont disparu depuis longtemps, lui est toujours là.
Le temps passe. La jeune fille devenue jeune femme, passe de l'autre côté du bureau. Le stylo-plume, lui, a vieilli. Les marques du temps sont là, corps rayé, agrafe piquée ... Même s'il écrit comme au premier jour, le voilà forcé dès la première rentrée scolaire à abandonner le marron quotidien pour revêtir le rouge de la correction, dans l'ombre du bureau, remplacé en classe par un autre Waterman, à plume et agrafe dorées et au corps noir. Pfff. Il cale, sèche, et finit par ne plus fonctionner malgré quelques trempages. La jeune femme ne peut se résoudre à abandonner son compagnon de route, qui a partagé plus de la moitié de sa vie. Il est rangé.

Le temps passe. La jeune femme a rencontré son Cher et Tendre, le gnome est là maintenant aussi. Même si elle ne sait pas forcément où il est, elle sait que le stylo est "quelque part", elle l'a toujours conservé pendant les tris nécessaires pour les déménagements successifs .... Le Cher et Tendre commence une collection de stylo-plumes. Un jour, la jeune femme retrouve et lui donne fièrement son vieux stylo-plume, que le Cher et Tendre lui rend "mouais, bon, c'est un modèle de base, sans intérêt". Le stylo-plume traîne maintenant dans les pots à crayons sur le bureau.
Le temps passe. Le gnome grandit, il est initié au stylo-plume. Ce serait sympa de lui montrer et d'utiliser le premier stylo-plume se dit la (plus si) jeune femme. Quelques temps plus tard, elle demande à Cher et Tendre "au fait, pour le déboucher, comment faudrait-il faire ?". Après une semaine de trempage, avec eau tiède changée régulièrement, le stylo-plume revient à la vie, tel Paul Fourier-Louis de Funès dans Hibernatus (désolée, on a les références qu'on peut, hein ...). Le stylo mérite sa séance photo pour aller sur le forum stylo-plume !!!
Et là, c'est le drame.
Le gnome fait peur à sa mère, qui fait un faux mouvement et le stylo tombe sur le carrelage de la véranda.

Je vous laisse découvrir le massacre.


