Qu’est-ce j’ai en stylos d’artisans ? Quelques Nakaya sobres et simples. Il ne m’en reste qu’un, d’ailleurs. Je me demande parfois si on peut encore parler d’artisanat vu le nombre de Nakaya en circulation. Ils sont faits à la main, alors oui, c’est de l’artisanat. Mais combien ils sont là-bas à travailler pour en vendre autant ? Un Fred Faggionato, un Pétrarque en ébonite. Ce doit être tout. Pas de Rossi, pas de Lépine, pas de Simpole, pas d’Edison, de Romillo, pas de Faivet que j’ai découvert en revenant par ici, j’en passe…
Parlant de Frédéric, dont j’avais aperçu ici les premières présentations il y a quelques années, je m’étais demandé en lui commandant le Pétrarque quelles voies étaient possibles pour un artisan à côté des productions industrielles. Comment exister à côté de fabriques disposant parfois de très gros moyens, comment vivre au milieu de la course à l’armement, à l’ornement, avec parfois des zinzins qui clignotent de partout, des plumes avec la Nuit étoilée gravée dessus en plusieurs couleurs, équipés de systèmes de remplissage presqu’aussi sophistiqués qu’un Rafale en train de se ravitailler en vol, des équipes de design et de marketing au fait de vos moindres goûts, pratiques obscures et inavouables, sans parler de vos niveaux de revenus. Comment coexister avec les innombrables et quelquefois invraisemblables éditions limitées nécessaires aujourd’hui à la survie des fabricants en un temps où le stylo à plume ordinaire est un outil parfaitement dépassé, comment tirer son épingle du jeu à côté de la Résine Précieuse et des Plastiques Titanoïdes en tous genres emballés dans des boiboîtes et des surboiboîtes directement inspirées d’une lecture de Castaneda ?
Les artisans, il me semble qu’au départ, il en existe plusieurs espèces. Ceux qui tournent, ceux qui habillent des stylos existants, ceux qui travaillent sur la matière et le décor, ceux qui dessinent des stylos et les font fabriquer, les ingénieurs, les furieux sympathiques dont les oeuvres n’ont de stylos que le nom. Catégories qui se mélangent évidemment.
Le Pétrarque. La voie de Fred au début où on le lisait ici me paraissait ingrate. Le Pétrarque est un bel instrument à écrire. Directement inspiré du Waterman 52, c’est un stylo austère, sobre, épuré, très léger, sans aucun chichi. Un modèle dans l’esprit des débuts du XXe siècle, un pur instrument d’avant les outils dévoyés d’aujourd’hui, pour le pur plaisir d'écrire. Pas d’ornements, bagues, gravures…, un seul modèle d’agrafe qu’on retrouve sur d’autres stylos parce que ça revient cher à fabriquer, ces bricoles, il faut en faire faire beaucoup d’un coup du même modèle. Seule possibilité de se distinguer, la matière : acrylique, ébonite, celluloid quand on en trouve, bois. La plume, une générique allemande, forcément. Après, il faut lui trouver un emballage. Il faut le faire connaître. Gros boulot. Au début donc, je me disais que je ne voyais pas bien comment un tourneur seul, avec des possibilités relativement limitées de formes et de matières, pouvait exister et séduire dans le monde des stylos. Lequel monde en passant ne se limite pas aux cinglé(e)s de forums

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Et puis en revenant traîner par ici, j’ai vu les Pétrarque avec de nouveaux frangins, en laque, la plupart absolument magnifiques. Le travail de recherche et d’apprentissage est considérable et admirable, et l’homme n’en est qu’aux débuts. J’ai vu des clips et des ornements à la cire perdue. C’est parfois un peu lourd, cf ce que peuvent faire les Italiens, brrrr quelquefois, mais ça peut donner de beaux résultats. Ca permet de se libérer de l'agrafe et de l’ornement métallique industriels. Je me dis que ce gars-là, chapeau, il a compris que le Pétrarque de base, tout seul, ne l’emmènerait peut-être pas loin, ne suffirait pas à donner envie. Il a su se faire son propre chemin. Je ne sais pas si quelqu’un qui n’a que le tournage comme corde à son arc peut vivre. Se faire plaisir et faire plaisir à quelques amis, oui, vivre, j’en doute. Il me semble qu’il va forcément falloir utiliser d’autres ressources.
Quand on voit quelqu’un comme ça, on a envie de lui parler des vagues dessins, des envies qu’on a dans la tête. Moi, par exemple, j’ai depuis longtemps envie d’un stylo simple, mince, quasi-cylindrique comme un crayon, sans filets qui accrochent les doigts (ah, le plaisir du corps lisse des Oldwin avec les filets rejetés à l’extrémité comme les vieux safety, ou celui des Parker 51). Ca impliquerait un capuchon à friction, comme sur les beaux stylos des années 1910. Pourquoi pas ? Au bout, une longue plume effilée bien sûr pour le prolonger, un peu retravaillée pour offrir à l’esthète qui se la pète un peu plus de sensations que les plumes standard. J'adore les longues plumes fines. Quelque chose d’encore plus simple, plus extrême que le Pétrarque, un crayon à plume, pas même recouvert de matière précieuse. Pourquoi pas en buis, tiens ? C’est beau, le buis patiné.
Ou bien une autre chose qui me ferait une envie folle, à l'autre extrémité, c’est un stylo à filigrane en argent, dans le genre de ce que fait Simpole aujourd’hui, dans l’esprit de mes vieux Waterman des années 20, un peu moins classique. Mais je ne sais pas. Les filigranes me semblent liés à une époque et je n'ai guère vu de réalisations modernes aussi finement réalisées que les anciennes. Je ne crois pas qu’il emprunte cette voie.
Ou encore…
Editions limitées de fabrique, artisans, on est toujours dans la même veine : la personnalisation, la différentiation. A Nakaya, on va demander d’ajouter, même si c’est assez convenu, un zogan, ou bien au cul du stylo, pour bien exprimer au monde son passionnant style de vie, la calligraphie du mot « légèreté ». Essayez d’expliquer ça à un Japonais, tiens, « légèreté ». Je crois qu'en fait, j'aurais plus envie de me laisser prendre par la réalisation d'un artisan, plutôt que de lui demander des choses précises. Le laisser travailler librement, quitte à lui avoir laissé entendre ce qui me toucherait.
Ca doit tout de même être parfois un peu fatigant d’être artisan. Il doit falloir parfois se taper des mails et des mails de pinailleurs qui en tiennent enfin un qu’ils peuvent tasonner, comme ils disent par chez moi, jusqu’à plus soif. A moins de vingt mails, pas d’affaire. Il en faut pour ses sous. Et après, il va chercher la petite bête. Mais des fois, ça doit être vraiment bien aussi de travailler directement avec l’amateur et le client.
Il y a d’autres modèles que celui-ci évidemment. Edison, par exemple, qui montrait presque en direct à son client la fabrication de son stylo. Qui, parti de deux ou trois modèles est passé lui aussi de l’acrylique de base à la laque pour certains, qui a remis au goût du jour des systèmes classiques et simples de chargement de l’encre. Qui a dessiné un modèle que je trouve fort joli et peu courant dans le style japonais, le Mina. Qui propose en plus des plumes personnalisées, italiques et cie. Le patriotisme américain l’a bien aidé. Ou bien sur le versant ingénieur, Conid et son très beau bulkfiller dont un des modèles allie la réussite du dessin et le très sexy système de remplissage. Je ne sais pas si on peut parler ici d’artisanat, d’ailleurs.
On pourrait parler de Paul Rossi dans un genre très différent. Ou du magnifique magnifique magnifique et si pur Romillo espagnol - je ne sais pas s’il existe toujours, celui-là ? - à la réalisation exemplaire (Seigneur, celui de Carlos que j’avais eu en mains avec une plume revisitée par Minuskin…). M'a fait envie celui-là.
Il ne pleut pas encore. Grand soleil devant la fenêtre du jardin.
Jimmy