Je me souviens avoir écrit avec des stylos-plume dès mes six ou sept ans, soit à partir du CP ou du CE1. J'ai aujourd'hui la quarantaine encore relativement fraiche et cela nous ramène donc à l'époque des modèles à plumes d'acier pour écoliers qui se vendaient entre les années 1975 et 1985. Je ne possède plus aucun exemplaire des stylos-plume employés au cours de cette décennie et il a été relativement ardu d'en retrouver la trace, même avec le net. Voici toutefois quelques photos des Stypen plastiques aux couleurs bariolées de l'époque. La mémoire de certains d'entre vous fera tilt je suppose en revoyant ces stylos dont le décor m'apparaît aujourd'hui comme une bizarrerie de mauvais goût !


La plume d'acier de ces Stypen était relativement mordante. Je me rappelle qu'elle accrochait un chouilla et faisait crisser un "scratch scratch" caractéristique, même sur des papiers lisses comme le Clairefontaine d'écolier classique.


Leur design, ce bariolé outrageux, fut probablement le fruit d'un créatif hystérique sous LSD. La fabrication de ces stylos-plume était médiocre, faite d'un plastique grossier de qualité affreuse — quand on a eu ce Stypen en mains, on apprécie mieux l'expression même usurpée "résine précieuse" — et pour ne rien gâcher, leur finition était exécrable : on peut distinguer clairement la ligne de jonction plastique non polie de la section de plume sur le modèle violet ! Ces Stypen étaient fragiles et le corps du stylo accusait rapidement de grosses fêlures au niveau du pas de vis à force de vissages/dévissages pour recharger les cartouches d'encre. J'en ai d'ailleurs enterré de la sorte un bon nombre d'exemplaires… Leur seul avantage, non négligeable : ils m'ont initié au stylo-plume et me l'ont fait aimer.
À côté des Stypen, on trouvait des modèles de Waterman également à plume d'acier aux décors en acier mat, chromé cannelé et chromé torsadé.


D'un niveau de fabrication très sensiblement supérieur, et tout de même plus esthétiques ces Waterman !! Ce n'est pas Damien qui me démentira...



Pour nous autres élèves qui apprenions à écrire et à former nos lettres, le stylo plume était empreint du mythe de la "baguette magique" : il véhiculait la croyance que c'était le plus joli modèle qui faisait le meilleur élève… Il me revient d'ailleurs que la petite fille occupant la fonction de "bombe de l'école", celle dont tous les garçons étaient amoureux y compris votre serviteur, fut aussi la première élève de la classe durant cinq ans d'affilée du CP au CM2 sans être détrônée. Et la belle possédait bien sur de ces Waterman là. Le stylo plume, une baguette magique ! Nous étions en avance sur notre temps : il n'était nul besoin d'avoir Harry Potter ni Poudlard pour posséder la baguette magique ultime !
Un autre modèle qui rencontrait alors un franc succès auprès des écoliers et lycéens d'alors était ce Sheaffer, le "non nonsense" je crois. Si je n'en n'ai jamais eu aucun exemplaire, tous ceux qui écrivaient avec ces stylos ne voulaient pas entendre parler d'une autre plume ! Où stylo-plume rimait déjà avec manie, fidélité absolue à une marque et méticulosité…



Ce tour d'horizon s'achève avec un modèle de Waterman en plastique de couleur noire mat. Il se présentait sous une forme de presque cigare, avec des embouts ronds et un corps à facettes pentagonal dont la surface était légèrement texturée. Ce modèle est sorti au début des années 1980 je crois. La seule touche de couleur du stylo était son agrafe plastique de couleur vive, rouge, jaune, orange, verte ou bleue. J'ai possédé plusieurs de ces cigares sombres dont la plume d'acier était honorable, la même que les modèles aux décors d'acier présentés ci-avant. Leur plastique était très solide : ils possédaient l'avantage de résister sans trop se marquer aux séances de mordillements intenses que je leur faisais subir pendant les interrogations écrites.

Durant toute cette période, j'ai adoré écrire avec une plume. La sensation de glisse sur le papier m'exaltait. Le rituel de la recharge était aussi jouissif que l'écriture : j'étais impatient d'achever une cartouche pour en percuter une neuve. Le bruit de la goupille qui sautait marquait le signal de la beuverie d'encre dont le conduit s'empiffrait, préalable à la reprise de nouvelles séances de glisse dans mes cahiers.
The dark ages :
Cette période bénie du stylo-plume a duré tout au long de ma scolarité y compris durant mes études supérieures. BCBGisme ambiant à la fac, je me suis laissé contaminer… et suis monté en grade en m'offrant un petit stylo-plume Montblanc, un 144 à plume de taille moyenne je crois, ma première plume or.
N'en déplaise à certains — comme j'ai pu percevoir parfois une certaine réserve, voir hostilité en ce qui concerne cette marque — mon petit Montblanc était un stylo-plume formidable et ultra fiable. C'était mon instrument d'écriture fétiche qui glissait royalement et a assuré intégralement la prise de notes de mes cours d'université, 30 heures de cours par semaine durant 4 ans. Jusqu'à cette chute malencontreuse "Allo Houston ? Ici on a un vrai problème…" d'où il est ressorti la plume tranchant comme un rasoir et intégralement vrillée selon une configuration improbable que même Maître John Mottishaw le Yoda de la plume tordue en aurait eu des insomnies.
Mon porte-bonheur était désormais inutilisable, tout juste bon à découper éventuellement un beefsteak. En 1992, je n'avais pas idée qu'une plume pouvait être redressée et repolie. Je ne connaissais pas plus le forfait réparation-rénovation-polissage proposé par Montblanc. J'ai testé récemment cette prestation en février 2011 sur un Meisterstück 149 vintage, un cadeau de mon père. Le stylo-plume en est ressorti très satisfait, et moi aussi, tant de la qualité de la prestation de Montblanc que de l'accueil chaleureux en boutique, j'en reparlerai.
Bref, pour en revenir à mon petit 144 qui ne fut jamais réparé, il a subitement disparu des spots je ne sais où, probablement à la benne — inutile de me punir, je m'en veux assez comme ça — au même titre que l'écriture manuelle alors que j'entrai dans le monde du travail. En 1992-1993, les micro-ordinateurs commençaient à envahir sérieusement les entreprises. Écrire n'a été désormais pour moi plus qu'une affaire de rapport à un couple écran/clavier froid, bien moins sensuel qu'une plume qui glisse et libère son encre sur un joli papier. Et j'ai relégué aux oubliettes tout rapport aux stylos-plume pour une période de black-out approximative de 15 ans.
Retour au chemin des plumes (ou la parfaite lumière again) :
Il a fallu que je découvre par hasard en août 2008 le Pilot Capless et son fonctionnement étonnant pour un stylo-plume pour être à nouveau interloqué par les stylos-plume. Je suis très nomade professionnellement parlant, et ce stylo-plume me paraissait ultra pratique pour être emporté, trimballé et utilisé n'importe où au quotidien. Je me suis alors offert un exemplaire du Capless noir high tech aux attributs rhodiés avec une plume de taille M.


La date de production de sa plume était de février 2008, comme le montre son cachet sur la photo.

À l'usage, le mécanisme génial de ce stylo, son caractère ultra-pratique confirmé et la qualité de sa plume m'ont laissé pantois, autant pour prendre les notes à la volée de mes dizaines d'entretiens hebdomadaires que pour arrêter l'écriture et la reprendre rapidement à volonté d'un simple clic.
J'ai écrit un an et demi avec ce stylo, et, reconnecté avec l'écriture manuelle, je me suis réintéressé de plus près aux stylos-plume vers décembre 2010 en me tournant d'abord tout naturellement vers la marque Pilot vu que j'étais pleinement satisfait de mon Capless.
Au cours de ces dix mois de découverte des stylos-plume, je peux énoncer les raisons pour lesquelles, à côté des sensations de glisse, j'aime les beaux instruments d'écriture et spécifiquement les stylos-plume. Étant attiré par l'art, par le dessin, la sculpture, l'histoire et la technique, je me suis aperçu que le domaine des stylos-plume combine de nombreuses thématiques qui convergent avec mes centres d'intérêts. Dans la conception, la réalisation et la fabrication d'un stylo-plume, on trouve en effet l'imagination, la création, le design, l'ergonomie, le choix des matériaux parmi une infinité de possibles, l'usinage et l'assemblage des pièces et donc la mécanique de précision, le dessin et la peinture pour les laqués (Namiki et autres), la joaillerie, l'artisanat, l'orfèvrerie et la sculpture (par exemple pour les décors sur les argents massifs) et la chimie (pour les encres, mais aussi la sculpture sur métal par l'acide).
Le peu de temps dont j'ai disposé pour m'occuper de stylos-plume depuis décembre 2010 en raison d'une vie professionnelle chargée m'a vu découvrir essentiellement les diverses marques actuelles et leurs gammes. Par de nombreuses veilles sur eBay et de multiples visites dans les boutiques de stylos parisiennes, je me suis constitué une petite collection de base, pour beaucoup des modèles Pilot acier courts des années 1970 dont l'attrait a été initié par l'achat d'un Pilot M90, et aussi des Custom de la même décennie (acier ligné noir que j'adore et ses déclinaisons). J'ai également un petit aperçu sur les vintages Waterman de 1910 à 1950 par quelques exemplaires acquis au cours un passage à l'atelier Lesoon cet été (lieu super sympa et accueil très chaleureux de Thierry Saada).
Si mes goûts sont encore en cours de constitution et si je reste ouvert à la découverte des marques américaines, européennes et autres, modèles actuels comme vintages, ma sensibilité me porte à vouloir me tourner essentiellement vers les stylos-plume japonais. C'est l'envie de continuer à collectionner des Pilot, à découvrir les Namiki et les Nakaya qui me guide à ce jour.
En guise de conclusion provisoire :
J'ai fait don de mon Capless de 2008 qui m'a rebranché avec l'écriture à la plume à un ami cher pour le remercier de m'avoir sauvé la mise dans une passe professionnelle difficile en me permettant de retrouver un travail et de gagner ma vie (de sorte que je peux collectionner les plumes aujourd'hui). Cet ami m'avait vu utiliser le Capless à plusieurs reprises et l'avait essayé : il avait littéralement flashé sur ce stylo. J'espère par ce don lui transmettre progressivement la passion des plumes. Je parle d'ailleurs régulièrement de ma passion autour de moi. Je montre et fais aussi essayer mes stylos à mon entourage personnel et professionnel : beaucoup se souviennent ainsi du temps de l'école, et le contact avec une plume ne laisse généralement personne tout à fait froid.
Par ailleurs, mon inscription sur le forum date déjà de plusieurs mois. J'ai eu quelques contacts avec quelques membres réguliers du forum, et j'ai posté quelques billets ou réponses sans pouvoir m'impliquer davantage ni avoir rédigé de post de présentation par manque de temps. Je souhaitais toutefois remédier à ce point avant d'aller plus loin parmi vous. Je trouve ce forum très sympathique et instructif et j'ai l'envie de participer plus activement !
Que dire de plus, si ce n'est que depuis que je connais le forum, mes relations avec ma banquière ont tendance à devenir très chaudes, hélas pas dans le sens amoureux du terme !
Saluts sympathiques à tous !
FineNib / Terry