
Petit retour sur l’histoire de cette maison de joaillerie new-yorkaise, déjà active à l’époque de la guerre civile (1861-65), qui, avec l’arrivée de John B. Shea, artisan connu, se lance dans le marché croissant de la plume or. Le nom Aikin, Lambert & Co est enregistré en 1871 et des brevets seront déposés dans la foulée, essentiellement pour des crayons et des porte-plumes télescopiques.
Rapidement, les affaires prospèrent. Un quatrième associé les rejoint en 1883 (John Foley, figure emblématique et auteur d’un texte fondateur sur la production de gold pens), l’entreprise est ‘incorporée’ à New York en 1889 et un bureau s’ouvre à Chicago.
Aikin, Lambert & Co mène de front les deux activités de joaillerie et de production de plumes. La maison travaille aussi en sous-traitance et notamment pour Paul E. Wirt, d’abord comme agent général et ensuite comme producteur sous licence. Elle fournit aussi les plumes à Waterman’s, qui n’avait pas de production propre avant 1900 (pour l’ébonite non plus, d’ailleurs

Selon certains experts , Aikin, Lambert &Co aurait même produit des plumes pour Parker avant l’époque Duofold !
Une renommée mondiale

Dans l’équipe, Henry A. Lambert est le traveler : il sillonne les expositions du monde entier pour vendre mais également pour alimenter l’activité d’importation de diamants et de montres, et rafle sur son passage des prix prestigieux grâce aux productions raffinées de la maison.
En 1878, Aikin, Lambert & Co se rend à l’exposition universelle de Paris, où il remporte la médaille d’argent dans la catégorie Orfèvrerie – Plumes d’or, étuis. Intéressant de noter qu’en même temps, dans un autre pavillon, c’est la machine à écrire dite Type Writer qui crée le buzz dans la presse...
Les stylo AIkin, Lambert & Co
Autour des années 1890, la maison démarre la production de ses propres stylo-plumes.
Les plus spectaculaires sont les eyedroppers en nacre ou en habillage or, comme l’escargot newyorkais.
Des exemplaires de sleeve-filler, rotating sleeve-filler et pump-filler datant de 1905-10 sont connus ; le levier est introduit assez tard, vers 1915 (comme Waterman’s…), et dans le catalogue de 1916 cohabitent les dropper fillers (remplissage par pipette), les self-filling (à levier) et les disappearing pens (plume rentrante). On trouve aussi un modèle étudiant très amusant de match-stick filler, le Capitol « Educator Clipfill », où l’on actionne la barre de pression en introduisant la pointe de l’agrafe rapportée dans un trou du corps du stylo.

Les lignes de produits : le Mercantile, en version eyedropper et ensuite levier, en ébonite (même rouge) et en celluloïd, comme
ce beau jade; le Capitol, décliné en Cabinet, Secretary et Dainty, pour femme, et même un stylo miniature de 5 cm, « The Pet ». Les Vis-o-pen et les Skywriter des années 1930 marqueront les dernières productions.
Pour se faire une idée de tous ces modèles, voici une collection époustouflante
Et ensuite, le mariage (était-ce bien nécessaire

À l’aube du nouveau siècle, Waterman’s se lance dans une opération d’intégration verticale de la production, d’abord des plumes et ensuite de l’ébonite. La prise de contrôle sur Aikin, Lambert & Co dure jusqu’en 1910-11, voire plus tard selon d’autres sources ; tout se passe dans une ambiance ‘amicale’, au point que Henry A. Lambert continuera de voyager pour le compte de Waterman’s (!) et de manager les activités Aikin-Lambert jusqu’à sa mort en 1919. La marque commerciale reste : elle devient Aikin-Lambert Co lors d’une réorganisation en 1905, et ensuite AlCo tout simplement.
La lecture des actes des nombreux procès intentés par Waterman’s à la concurrence nous apprend que la collaboration avec Aikin Lambert était très étroite : les équipes travaillaient ensemble dans le grand immeuble Waterman’s à New York, les ordres venaient indistinctement des responsables des deux maisons et certains brevets étaient mis en commun. Globalement, les produits des deux marques se ressemblent beaucoup et certaines pièces sont même interchangeables, selon les experts.
Un détail amusant à ce propos : en matière d’agrafes, c’est l’échangisme

Dans le catalogue de 1916, Aikin Lambert & Co propose des agrafes rivetées à la façon des Clip Clap de Waterman’s, alors que le « slip-on cap » du stylo pour étudiants, bien marqué Mercantile, aurait été breveté par … Waterman’s !
Ici, le Mercantile avec un Waterman 12, eyedropper, et un 52

Aikin, Lambert & Co – Mercantile eyedropper
Les eyedroppers Mercantile entrent en production entre 1895 et 1896, une période faste pour Aikin, Lambert & Co qui sont encore autonomes : en août ’95 ils annoncent avoir ‘déménagé dans de plus grands locaux de production et être désormais prêt à produire encore plus que jamais’, et en avril de l’année suivante ils présentent le Mercantile.

C’est un simple eyedropper, mais de bonne facture. En ébonite lisse, ciselée ou enrichie de bandes en or repoussé, il est proposé avec des plumes « regular » ou stub, de taille 1 à 6, et même avec une plume Falcon (qui charge beaucoup d’encre).
Mon exemplaire est en assez bon état de conservation : le filetage de la section tient bien et le slip-cap est serré. Le chasing et l’imprint sont assez nets. Le conduit est intéressant : sa forme évoque les conduits Waterman’s d’avant la cuillère mais en plus large


Le stylo mesure 139 mm fermé et 123 sans capuchon, ce qui est une taille honorable pour un ancien. Je ne ressens jamais le besoin de le poster.
Le diamètre est de 10,6 mm à hauteur de la bande dorée. À noter que la section est assez longue, suffisamment pour que les doigts ne soient pas gênés par la bande ni par la jonction avec le corps, qui se fait graduellement, presque sans step.
Il pèse 11 gm fermé, et seulement 8 à vide sans capuchon : autant dire qu’on l’oublie presque quand on écrit !
C’est la plume qu’on regarde plutôt et qu’on sent bouger sur le papier avec un léger feedback. De taille F, elle n’offre pas une variation très importante (je n'appuie pas non plus, à vrai dire), juste ce qu’il faut pour souligner les traits descendants et apporter une touche d’élégance à l’écriture. Mais elle est élastique, elle a un retour rapide, on sent que les becs ont envie de se redresser sur les pointes ! Élasticité accompagnée d’un débit adéquat : peut-être le secret du charme des plumes de l’époque



Et pour finir, quelques échantillons d’écriture : un premier ici
et ci-dessous, deux extraits des portraits que la presse professionnelle a consacrés à Aikin et à Lambert à l’occasion de leur décès:

Merci d'avoir lu !