Hello tout le monde. Ca faisait longtemps que je n'avais plus contribué au forum, entre la vie de famille haletante et un agenda professionnel bien rempli. Mais voilà, les encres ferro-galliques, ça m'intéresse.
Tout d'abord désolé pour la mésaventure, Midoribotanic. Ce n'est pas vraiment quelque chose qu'on aurait pu prévoir, mais, rétrospectivement, ce n'est pas tellement surprenant non plus. J'ai lu pas mal de contributions très correctes dans ce fil, mais je souhaite quand même faire quelques ajouts.
Pourquoi les encres ferro-galliques sont-elles corrosives? D'abord, parce qu'elles sont acides. Elles ont un pH souvent compris entre 1 et 2 (du même ordre de grandeur que le suc gastrique). Ce pH faible n'est pas tellement l'oeuvre de l'acide gallique (qui contrairement au gallium, n'est pas nommé après la France) contenu dans les tannins de la noix de galle, mais plutôt à la présence de sulfate ferreux (FeSO4), autrefois appelé vitriol vert. Ce dernier, qui est la source de fer nécessaire pour la couleur noire et la pérennité de l'encre, une fois en solution dans l'eau, forme les mêmes espèces que l'acide sulfurique dissout dans l'eau. Je vous laisse imaginer... Matthieu a raison, c'est moins corrosif que les acides nitrique ou chlorhydrique, mais ça pique quand même. D'ailleurs, c'est à la présence trop abondante de sulfate ferreux (ou cuivreux) dans les encres anciennes qu'on attribue le fait qu'elles ont rongé le papier (lui aussi acide, à l'époque) de vieux manuscrits qu'on a du mal à conserver. Les encres modernes utilisent une quantité plus modérée de sulfate ferreux, et des encres comme Salix, Scabiosa, et et 4001 Blue-Black (et bien d'autres Platinum et KWZ) sont considérées comme assez peu dangereuses. Toujours est-il que cette acidité est généralement anodine pour du plastic, de l'ébonite, du latex, et pour les métaux précieux ou semi-précieux, mais assez problématique pour les aciers, du moins certains.
Pourquoi les encres ferro-galliques bouchent-elles les conduits? Au contact de l'air, le complexe ferreux (Fe2+) avec l'acide tannique ou gallique, s'oxyde en complexe ferrique (Fe3+, un peu comme lors de la formation de rouille), et ce nouveau composé donne lieu au virage au noir de l'encre. Mais lors de cette oxydation, des agrégats de "rouille" se forment. Quand c'est le cas sur le papier, c'est génial: c'est ce qui confère la résistance à l'eau. En fait, ces encres sont un peu comme des encres pigmentaires: des tout petits amas solides se forment, mais uniquement au contact de l'air. Les pigments ne sont donc pas dans l'encre, mais se forment au contact prolongé avec l'air, sur le papier. Quand le même phénomène a lieu dans le conduits, on peut obtenir des bouchons. Autrefois, quand le stylo-plume à encre ferro-gallique était un outil de travail quotidien pour les archivistes et autres scribes, on conseillait de le vider tous les soirs à la fin de la journée de travail, et de remplir à nouveau le lendemain matin. De nos jours, plus personne ne fait cela. Les encres ferro-galliques que j'utilise sont celles citées plus haut, et pour l'instant je n'ai eu de problèmes qu'avec Scabiosa, dans un Lamy 2000, au bout de 2-3 semaines (tout en écrivant régulièrement). J'ai dû démonter la plume et le conduit, et les nettoyer en profondeur. Dans mon Conid AVDA à plume titane, où je l'utilise plus régulièrement, Scabiosa m'a une fois forcé à démonter la plume pour éliminer quelques légers dépôts moins insidieux que dans le Lamy 2000.
Ce que je viens d'écrire explique aussi ce qu'écrit M. KWZ: l'acide ascorbique peut nettoyer ces dépots, non pas parce qu'il est acide, mais parce que c'est un réducteur (l'opposé d'un oxydant). Il peut retransformer le Fe3+ en Fe2+, et le rendre de nouveau soluble.
Un dernier sujet, mais Matthieu et Hobiecat en ont déjà très bien parlé: il y a une multitude de types d'acier (dont de nombreux inoxydables). D'ailleurs, ceux qui aiment les couteaux le savent très bien. Et ils ne sont pas tous aussi inoxydables les uns que le autres. Ce qui est arrivé à Midoribotanic fait penser que Waterman, du moins sur les modèles bas de gamme, utilise des aciers de moindre qualité. J'ose espérer qu'une plume acier de meilleure facture résisterait mieux. De ma propre expérience, je conclus que les plumes en or et en titane restent indemnes, et sortent au pire salies de l'expérience.
Ces encres sont donc, a priori, à réserver aux stylos qui ont des plumes en métal (semi-)noble et qu'on peut au pire démonter et nettoyer facilement.
Merci d'avoir lu cette tartine