Un peu d'histoire pour commencer.
Seth Chilton Crocker était le fils d’un grand nom américain du stylo, Seth Sears Crocker, lequel fabriquait depuis 1902 de très intéressants stylos (une présentation d’un stylo Crocker est à venir). En 1924, Crocker Junior installe à Boston sa propre manufacture d’où vont sortir des stylos de très bonne qualité avec un système pneumatique de remplissage breveté d’après un système inspiré de son père : certains modèles de Crocker se remplissaient en soufflant à la bouche dans l’extémité du stylo, ce qui compressait un sac de caoutchouc. En cessant de souffler, le sac se gonflait et l’encre montait dans le stylo. Les premiers modèles de Chilton sont en ébonite, la firme commence à fabriquer des stylos en celluloid en 1926. Vers la fin des années 20, Chilton déménage à Long Island, où seront produits jusqu’en 1941 des stylos encore très recherchés aujourd’hui : qualité de la fabrication, qualité et beauté des plastiques, originalité et fiabilité du système de remplissage, qualité des attributs et qualité d’écriture. La firme est toujours restée cantonnée dans le nord-est des USA, ce qui explique son déclin et sa fin. En quinze courtes années, Chilton s'est construit dans l'histoire des stylos une réputation qui a traversé le temps.
C'est un stylo de belle taille, sans être un oversize, très légèrement évasé. 12,8 cm de long fermé pour un diamètre du corps de 12,5 mm. Ouvert sans capuchon, il mesure 12,3 cm, ce qui, pour donner une référence moderne que beaucoup connaissent ici, est à peu près la taille d’un Sailor 1911.
Deux choses frappent : d’abord, la beauté du celluloid. Je ne sais pas comment cette couleur a vieilli, il semble qu’elle fasse partie de celles qui traversent le mieux le temps. J’enclenche le mode lyrique pour la décrire : des taches brunes, couleur de feuille de chêne séchée, saupoudrées de poudre d’or qui flottent sur une mare d’eau noire en forêt. Ou qui tombent lentement dans la nuit noire. Fin du mode lyrique. La couleur et le relief sont extraordinairement beaux, le vendeur avait très bien poli le sylo, ce qui accentue encore la profondeur du noir et la délicatesse des bruns. On ne se lasse pas de le regarder. Cette profondeur est très difficile à rendre en photo. Je poste ci-dessous les photos de Carlos Sanchez Alamo avec sa permission. Je me suis permis de les retoucher pour approcher au plus près la couleur originale, assez bien rendue sur mon écran calibré. Les photos sont beaucoup plus ternes que celles de Carlos, mais plus réalistes. On peut comparer les deux versions, les originales, moins fidèles mais donnant une meilleure idée de la profondeur se trouvent sur son site, j'indique l'adresse en fin de texte.
La seconde chose frappante est la qualité de la dorure : elle est d’origine, comme neuve sur le clip et les bagues, impressionnante de fraîcheur. La qualité de ces stylos était très au-dessus de la moyenne et a traversé les années. La gravure sur le corps est bien présente, le stylo présente les très légères marques habituelles d’usage, son état général est vraiment excellent.
La plume est une grande plume très fine 14K légèrement flexible, particulièrement plaisante. Très fine mais ce n’est pas une needle point, elle est très légèrement plus large que que la plume Pink d’un de mes Waterman. Le stylo est bien entendu utilisable sans réserves, puisque mon premier plaisir est d’écrire avec mes stylos vintage.
Ce qui vient est particulièrement intéressant. Il a existé plusieurs systèmes pneumatiques Chilton de remplissage. Le principe est le même : dans le premier système, le corps coulisse sur un tube fixe. On tire le corps, percé d’un trou à son extrémité, vers l’arrière. Le tube en aluminium contient le sac d’encre. On plonge la plume dans l’encre, et en repoussant le corps tout en bouchant le trou de l’extrémité avec le doigt, on compresse le réservoir. On enlève le doigt, il n'y a plus de compression, l’encre monte alors dans le stylo. Le système était très ingénieux, mais nécessitait deux mains et une grande taille de capuchon. Les ingénieurs de Chilton améliorent donc le système, une deuxième version voit le jour, c'est celle que nous trouvons sur ce Long Island : le corps est maintenant fixe, c’est le tube intérieur qui coulisse, la compression se fait toujours en bouchant avec le doigt le trou du « blind cap » qui termine celui-ci. On voit le tube tiré hors du corps sur la troisième photo. La construction du Chilton est très précise, le système est quasi-parfait, très fiable et peut durer des années. Il est remarquable de voir comment ont été, sans matériaux sophistiqués, résolus les problèmes d’étanchéité. C’est un des plus beaux et des plus simples systèmes de remplissage que je connaisse. Les amateurs auront immédiatement reconnu le système sur la troisième photo ci-dessous : Sheaffer ne s’y est pas trompé, qui des années plus tard le reprend à son compte en introduisant le célèbre Touchdown, qui est exactement le même système, légèrement amélioré puisqu’on n'a plus a boucher le trou avec un doigt, pression et dépression se font automatiquement.
Ces magnifiques Chilton assez peu courants sont aujourd’hui des stylos très recherchés par les collectionneurs, ils sont en général relativement chers.
J’espère que cette petite présentation rapide vous aura intéressé. Comme d’habitude, vos commentaires, questions, rectifications, précisions… sont les bienvenus.
Je tiens à remercier Carlos Sanchez Alamo, non pas de me ruiner à petit feu avec une admirable ténacité



Jimmy