Cet essai s’adressant entre autres à des lecteurs qui découvrent le stylo à plume et posent souvent des questions qui reviennent, lesquelles semblent élémentaires à ceux qui connaissent les instruments, j’aborderai donc quelques notions connues par ces derniers (le titre des plumes, ou encore ce qu’est un convertisseur, par exemple).
Présentation rapide de la marque.
Sailor est une des trois grandes marques historiques japonaises de stylos à plume et la plus ancienne des trois. Fondé en 1911, petit fabricant au milieu des géants du stylo à plume, Sailor est aujourd’hui réputé pour fabriquer des plumes parmi les meilleures du monde. Sailor, c’est d’abord et avant tout une bonne plume, laquelle est l’âme et le cœur d’un stylo. Sans une bonne plume, pas de bon stylo.
Le Sapporo
Parmi la large gamme des stylos Sailor, il existe deux modèles principaux : le 1911, de forme fuselée et arrondie à ses extrémités, très inspiré des Sheaffer américains d’avant-guerre et des Montblanc allemands d’après-guerre, et le Pro Gear qui lui est tronqué net à ses extrémités au lieu d’être arrondi. Le 1911 « International » et le Pro gear sont des stylos de bonne taille qui ont chacun un petit frère : le 1911 standard et le Sapporo, ce dernier étant un Pro Gear plus petit. Nous verrons que cette taille moyenne a de nombreux avantages.
Il existe une version « Mini » du Sapporo, héritière d’une forme à succès au Japon dans les années 70-80 : le stylo est beaucoup plus court fermé, le capuchon se visse à l’arrière pour en faire un stylo d’une longueur utilisable quand on écrit. Ce modèle n’accepte que les cartouches Sailor, pas le convertisseur (voir plus loin).
Matériaux et finition
Le Sapporo est un stylo classique. Dans ses versions courantes, il est fabriqué dans une résine noire de bonne qualité, parfaitement polie et brillante. La finition générale est excellente, on en a pour son argent, il n’y a rien à lui reprocher. Les attributs, bagues et agrafe, sont en plaqué or jaune ou rhodié (couleur argent). Sur la bague de capuchon sont finement gravés les mots « SAILOR JAPAN FOUNDED 1911 ». Une ancre dorée figure sur l’extrémité du capuchon. Celui-ci est à vis, très sûr, le minuscule rituel du vissage/dévissage étant toujours agréable.
Afin d’être le plus complet possible, j’ai demandé à Loïc de m'indiquer les couleurs et tailles de plume disponibles en Europe. Il existe 7 tailles de plumes.
- Noir/attributs or ou argent : 6 tailles de plumes EF - F - M - B - Z - MS
- Demonstrator transparent/attributs argent : F - MF
- Ivoire, rouge, bleu, violet/attributs argent : MF - B
- Translucides : rose, vert, orange/attributs argent : F - M - B
- Mini noir/attributs or ou argent : les 6 plumes de base disponibles
- Mini rouge, bleu, jaune/attributs argent : F seulement
On notera que l’excellente MF n’est normalement pas disponible avec certains modèles courants. N’importe quel revendeur sérieux devrait être à même de livrer le stylo concerné avec cette plume.

Taille et prise en main
Le Sapporo est un stylo de taille moyenne, qui pourra apparaître petit à côté de certains mastodontes à la mode aujourd’hui. Il mesure 12,3 cm fermé, 11 cm sans le capuchon, 14,3 cm capuchon posté à l’arrière. Le diamètre du corps est de 12,2 mm, celui du capuchon de 14,8 mm à la bague. Il est également léger : 17,3 grammes, 9,3 grammes sans capuchon. Si la mode est aujourd’hui aux stylos lourds voire très lourds, je fais partie de ceux qui pensent qu’un stylo léger est bien plus confortable pour de longues sessions d’écriture, quand il faut écrire des pages et des pages sans fatigue. Quant à la taille, je trouve le diamètre moyen très confortable également pour tenir le stylo longtemps. Celui qui a de grandes mains trouvera certainement le stylo sans capuchon un peu court. Qu’il se rassure : vu le poids, poster le capuchon ne dégrade pas l’équilibre, qui se retrouve un peu déporté vers l’arrière. Un peu court peut-être donc sans capuchon, mais esthétiquement, la forme générale est harmonieuse et équilibrée.
Pour qui a de grandes mains ou préfère les stylos plus lourds, peut-être vaudrait-il mieux regarder du côté des grands frères ou vers d’autres modèles.
La préhension est excellente. Le plastique ne glisse pas, la section (la partie qui porte la plume, entre celle-ci et les filets, où reposent les doigts) est de bonne dimension et les filets ne sont pas agressifs.
Remplissage
Le remplissage se fait par cartouches ou par convertisseur. Il faut utiliser des cartouches de la marque, le stylo n’accepte pas les cartouches internationales. En passant, l’encre Sailor est une très bonne encre, avec une fluidité et une glisse excellentes. Pour qui voudrait utiliser d’autres encres, il faut alors utiliser le convertisseur (livré avec le Sapporo) et remplir le stylo au flacon, à l’ancienne. Cela ouvre l’accès à des dizaines de marques et à des centaines de couleurs d’encre. Le convertisseur est un petit réservoir qui se monte à la place de la cartouche, exactement comme une cartouche. Pour le remplir, on plonge la plume dans la bouteille d’encre en dévissant l’extrémité du convertisseur. En la revissant, son petit piston remonte et l’encre remplit le convertisseur. En rinçant bien le stylo à l’eau, on peut changer d’encre comme on le désire. Le convertisseur a une contenance un peu moindre qu’une cartouche.

La plume et l’alimentation
Nous en venons maintenant à l’essentiel, la plume. Celle-ci, joliment décorée de la frise et du motif habituels de la marque, 1911, est sur le Sapporo en or 14 carats, indiqué sur la plume 14K, 585 (pour 585/1000èmes). Sur les modèles plus gros, Sailor livre des plumes 21 carats là où la plupart des fabricants livrent des plumes 18 carats. Qu’on se rassure, les plumes 14K n’ont rien à envier en qualité aux 21K. Mais que reste-t-il aux belles et grandes 21K, alors ? Beaucoup de choses tout de même : leur taille, une subtilité, un velouté incomparables. Le toucher est assez semblable, l’agrément d’écriture est le même, les plumes sont même peut-être plutôt moins fragiles que les 21K. 14 carats est depuis toujours le titre habituel des plumes, certaines des meilleures sont toujours fabriquées dans ce titre, qui permet par exemple de fabriquer des plumes flexibles. Ce n’est pas le cas chez Sailor où les plumes 14K, comme la plupart des plumes modernes, sont rigides. Les plumes sont selon les modèles en or jaune ou rhodié.
Le Sapporo est disponible en 7 largeurs de plume, ce qui permet de trouver facilement plume à sa main et à sa manière d’écrire. Qu’on en juge : 7 plumes de tailles différentes, une telle variété de plumes est rare aujourd’hui, surtout dans un stylo de gamme moyenne à vocation utilitaire. L’alimentation est toujours parfaitement réglée et le débit constant. Si les plumes ne sont en principe pas vendues séparément, un bon revendeur pourra toujours vous proposer une autre taille à la place de la plume d’origine. Si l’opération est formellement déconseillée à qui ne s’y connaît pas sous peine de dommages, la plume et le feed (le plastique à ailettes sous la plume qui sert à alimenter celle-ci) sont très facilement démontables pour nettoyage pour un utilisateur averti. Faisons donc un tour des plumes. Les essais ont été faits sur l’excellent papier vergé Lalo, choisi pour sa qualité et parce que c’est un papier qui accroche légèrement pour voir comment se comportent les plumes très fines avec lui. Pour profiter de l’opportunité, j’ai longuement écrit avec toutes les plumes, particulièrement avec les fines. Pour ces essais, j’ai utilisé la belle encre soyeuse Sailor bleu-noir.
Nota : comme on le répète souvent, en règle générale, les plumes japonaises sont en gros une taille plus fine que leurs homologues européennes : une M japonaise équivaut à peu près à une F européenne.
- La EF et la F (marquées H-EF et H-F, « H » pour « Hard », dure). Il m’a fallu un moment pour différencier leurs traits sur le papier : les deux sont très proches, voire quasi-indifférenciables. La EF prêtée pour l’essai s’est vraisemblablement un peu élargie puisque c’est une plume de démonstration, Loïc me dit que la différence est normalement bien visible. On remarque à l’usage plusieurs choses : si l’extra-fine est infinitésimalement plus fine, elle donne également le sentiment d’être un peu plus dure, ce qu’on sent très bien en choisissant les deux plumes à l’aveugle. Elle est un peu plus précise. La fine, qui est également rigide donne le sentiment d’être un peu plus souple, elle est un peu plus facile. Les deux plumes sont très incisives, leur trait est très net. Si on ne peut qualifier aucune des deux de douces, elles sont agréables, glissent bien, aucune des deux n’accroche sur le papier vergé à relief. On peut écrire rapidement avec les deux. Qui a la main un peu lourde n’aura peut-être pas intérêt à choisir ces plumes, qui donnent le meilleur d’elle-mêmes, sans accrocher, avec une main plutôt légère. Très belles plumes mordantes et précises, je vais vraisemblablement choisir une F pour ajouter à mon 1911.
- La M-F. Avec cette medium-fine réintroduite il y a quelque temps, intermédiaire entre la fine et la medium, on entre dans un autre univers. Le trait devient visiblement plus large tout en restant agréablement fin. On arrive dans le monde des Sailor très douces, très faciles. La plume reste très précise, se contrôle parfaitement tout en étant très douce. Un délice. Pour qui est porté vers les plumes fines et faciles d’usage, celle-ci sera peut-être la plume universelle.
- La M. Un peu plus large que la précédente, la plume la plus courante certainement. Glisse parfaite, douceur de rêve. Sailor dans toute sa splendeur.
- La B (broad). Pour qui aime les plumes un peu plus larges, cette plume ronde, équivalente à une M européenne est d’une déconcertante facilité. Toujours nette malgré la largeur, d’une très grande douceur. Les anglo-saxons disent à propos de ces plumes qu’elles sont « buttery smooth ». Avec ces plumes soyeuses, on dirait écrire sur du verre. D’aucuns chercheront peut-être des plumes un peu plus accrocheuses pour avoir plus de sensations et de contrôle, mais on est là dans ce qui se fait de mieux, on sent parfaitement cette B au toucher particulier, très légèrement rêche. J’ai personnellement une nette préférence pour les plumes fines, nerveuses et douces à la fois, là où les Japonais excellent depuis toujours, mais on est avec la M et la B dans les sommets du genre. L’alimentation en encre est là encore très bonne. Je me lasse en général rapidement des plumes larges qui me plaisent au premier abord parce qu’elles me changent, mais celle-ci est parmi les meilleures que j’aie essayé avec son infime accroche sur le papier.
- La Z (Zoom). C’est une plume à grosse boule taillée de telle façon que la largeur du trait varie avec l’angle dont on tient le stylo. Tenue normalement, la plume délivre un trait large, un peu plus gros que la B. En tenant le stylo plus verticalement, le trait s’affine. En fermant l’angle et en rapprochant le stylo du papier, la surface de contact de la plume est plus importante et le trait devient très large. C’est une plume assez amusante et intéressante, utilisable en usage normal pour qui a une écriture très ample ou aime les plumes très larges ou les plumes qui en imposent pour une signature (le concept m’est un peu étranger, mais bon...

- La dernière est la MS (Music). C’est ce qu’on appelle une stub, c’est-à-dire une plume italique (à bout taillé carré) aux angles adoucis pour ne pas gratter le papier et être très douce à l’usage. Vu la manière dont elle est taillée, la plume permet si l’on peut dire d’imiter les pleins et les déliés : les traits verticaux sont très larges, les traits horizontaux beaucoup plus fins, la variation de largeur du trait est assez forte. La Stub, ici bien large, est une plume traditionnelle depuis toujours dans l’histoire des stylos à plume, bien que la plupart des marques, rationalisation oblige, n’en proposent souvent plus à leur catalogue, c’est également assez rare dans la production historique japonaise. Celle-ci est conforme aux standards Sailor, très douce et facile d’usage. Pour qui cherche une plume au caractère différent, il sera intéressant de considérer celle-ci. Je suis très mal à l’aise avec ces plumes stub larges, le vilain échantillon d’écriture ci-dessous ne rend pas justice à la plume. J'ai peu écrit avec celle-ci, il faudrait vérifier la régularité de son alimentation.

A l’usage et en conclusion
Je ne parviens pas à trouver de vrais défauts à ce stylo. Ceux que je pourrais citer seront des avantages d’un autre point de vue. Plaisant en main, très bien fini, fait pour écrire sans faiblir, il est monté avec le gratin des plumes en or. Là où la plupart des marques aujourd'hui ne proposent plus que trois largeurs dans le meilleur des cas, souvent seulement deux voire même une seule parfois, on ne peut qu'applaudir devant la variété des plumes offertes (en passant, dommage qu'une oblique ne soit pas proposée). C’est un stylo de taille moyenne, cela conviendra à certains qui cherchent un outil pratique quand d’autres préfèreront s’orienter vers un instrument plus gros. C’est un stylo discret, sans le moindre tape-à-l’oeil : là encore, certains apprécieront, d’autres chercheront plus voyant ou moins classique. C’est un reproche qu’on peut faire à Sailor et aux stylos japonais en général : tout est construit autour des plumes, si elles sont parmi les meilleures du monde, les stylos eux-mêmes ne brillent pas toujours par l’originalité du dessin, on est souvent dans le classique. Le Sapporo est d’une fiabilité quasi-totale, l’entretien est réduit. On peut lui reprocher d’utiliser des cartouches propriétaires, mais d’autres marques font de même (dommage de ne pas disposer d’un adaptateur pour cartouches internationales comme c’est le cas chez un autre Japonais, Platinum). L’usage du convertisseur palliera cette absence. Il est enfin d’un coût très raisonnable pour un instrument de cette qualité.
Comparaison arbitraire et rapide avec deux autres stylos de gamme à peu près équivalente.
Le Pelikan M400 Souverän dont le dessin n’a pratiquement pas évolué depuis près de soixante ans est à peu près de même taille que le Sapporo, un peu plus fin. C’est un stylo léger, rustique et costaud qui dispose d’un système de remplissage fixe à piston qui embarque davantage d’encre qu’un convertisseur, il ne peut pas utiliser de cartouches. Les plumes sont interchangeables directement et rapidement par l’utilisateur, mais on a beaucoup moins de variété de plumes chez Pelikan. Le niveau d’encre est visible à travers le corps.
On trouve le Custom 74, cheval de labeur d’un autre Japonais, Pilot, plus difficilement en France, où il n’est je crois disponible qu’en finition très classique noire et or, quand deux demontrateurs sont disponibles à l’étranger. Infatigable et increvable, d’une parfaite régularité, belle variété de plumes dont quelques-unes plus souples que les plumes standard (mais peut-être pas disponibles en France), remplissage à cartouche/convertisseur. Le 74 est plus gros et plus long que le Sapporo, ce dernier étant peut-être un peu plus fin et élégant d’aspect.

En espérant avoir été complet, informatif et vous avoir intéressé. Il y a de nombreux utilisateurs du Sapporo ici, leurs commentaires, avis et compléments seront les bienvenus. Comme toujours, les photos ont été faites en quelques minutes dans une mauvaise lumière : postez les vôtres si vous en avez de bonnes.
Jimmy