Et si on continuait l'histoire de ce stylo ? La tentation était trop forte...Voici donc:
Cette jolie plume en or nous vient d’un juge Portugais.
Ophélia était femme de chambre dans la famille du juge Antonio Quintela. Cette plume Pélikan appartenait au juge. A sa mort, tout en licenciant Ophélia , la famille pour la remercier lui offrit la plume.
Ophélia ne retrouvant pas de travail, quitta le Portugal et vint s’installer en Suisse.
Un jour chez son nouvel employeur, Uhli, (jadis pianiste dans un cinéma muet), elle parla du stylo du juge mais d’un air inquiet et apeuré.
Intrigué, celui-ci lui demanda ce qui la tracassait et Ophélia lui répondit « Il porte malheur «
Il l’a questionne plus avant et en pleurs elle lui explique que le juge Quintela, qui travaillait à la cour d’appel, a signé avec ce Pélikan plusieurs condamnations à mort entrainant ainsi l’exécution des malheureux condamnés.
Une telle plume ne pouvait donc que porter malheur. Son patron la rassura comme il put mais rien n’y fit Ophélia préféra lui offrir le stylo à son tour.
Uhli est un client et ami de la bouquinerie voisine du petit musée. Pour faire plaisir à la libraire, dont il connait l’attachement aux stylos, il le lui offrit. La bouquiniste étant ma compagne, le stylo fit donc son apparition au petit musée.
Hier au vernissage d'une exposition de la Maison d'Ailleurs j’ai rencontré Uhli et l’ai remercié d’avoir offert un stylo qui porte malheur ! Il a ri et s’est écrié. « tu ne vas quand même pas croire à toutes ces conneries… ! »
En rentrant chez moi, je regardais le Pelikan en me demandant comment un objet qui avait été guidé par la main d'un homme, et qui n'avait pas de volonté propre, pouvait « porter malheur »...Uhli ne peut qu'avoir raison....des conneries !
Ce matin, je sors de chez moi tôt pour acheter mon journal. Devant le kiosque, un petit attroupement discute avec passion...Je m'approche et perçois des bribes de la conversation : on y parle de mort, d'Uhli, du vernissage !!!
Je m'impose dans le cercle, un peu affolé, oubliant mon journal : quoi, qui est mort ? Quand ? Comment ? J'ai peur de comprendre...
Cinq minutes plus tard, je sais tout, ou presque. Uhli s'est attardé lors du vernissage, il a un peu bu, puis vers minuit et demi, il est parti en direction du parking pour récupérer sa voiture. On l'a retrouvé ce matin, vers 7 heures, affalé sur le volant, porte ouverte, et la police est sur place, tout le parking est interdit aux curieux...On ne sait pas de quoi il est mort.
Uhli mort....Il y a quoi, 8 ou 9 heures nous parlions de ce Pélikan...Je suis bouleversé. Je rentre, retrouve ma compagne, lui relate les événements : elle est atterrée. Sûrement une crise cardiaque, il se plaignait de son cœur...
Dans la journée, les choses se précisent. Uhli n'est pas mort de mort naturelle. Il faudra attendre demain les résultats de l'autopsie pour en savoir plus. Pas de témoin, pas de suspect, c'est tout ce qu'on sait.
Je ne peux pas m'empêcher de penser au Pélikan, aux propos d'Uhli, aux turpitudes du juge...
La nuit sera pénible, entrecoupée de cauchemars où des condamnés à mort reviennent hanter les vivants.
Le jour de l'enterrement d'Uhli, nous sommes un petit groupe à l'accompagner. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai mis le Pélikan dans la poche de ma chemise. Le mort... l'arme du crime ?
La cérémonie est brève, on y joue un morceau de piano, quelques paroles rituelles sont prononcées et l'on emporte Uhli.
Main dans la main, ma compagne et moi retournons vers la voiture.
Je sens quelque chose contre ma poitrine, je porte ma main à la poche, juste au dessus de mon cœur, je sens un liquide, mes doigts sont rouges !!!
Le Pélikan a souillé ma chemise d'une encre rouge sang !
Quand Uhli l'avait offert à Pat, je l'avais machinalement essayé, il ne fonctionnait pas, vide qu'il était. Pat m'affirme qu'elle ne l'a jamais rempli....
De retour au musée, je dépose le Pélikan dans une vitrine que je vide pour lui. De la plus belle écriture dont je suis capable, j'écris sur une feuille la notice qui l'accompagnera désormais.
Elle commence par les mots suivants : « Cette jolie plume en or nous vient d’un juge Portugais. »
Qu'Alain me pardonne mon emprunt de ses mots, le nouveau nom donné à sa compagne, la mort d'Uhli...Mais toute ressemblance avec des faits ou des personnages existant ou ayant existé etc....
PS: Plus sérieusement, la peine de mort a été abolie en 1867 pour les délits civils. Maintenue pour les délits militaires, elle sera totalement abolie en 1977. La dernière exécution capitale date de 1849....L'histoire du Juge Quintela est donc....une jolie histoire !
