L’ordinateur a permis a beaucoup de retrouver la pratique de l’écriture. On peut retravailler à volonté, suivre souplement la pensée, restructurer sans trop perdre en même temps de la spontanéité du premier jet.
Ecrire à la main, à la plume, c’est un peu vivre un petit moment sans filet. C’est plus lent, c’est plus fatigant. Il faut retrouver une gymnastique mentale qu’on a désappris. Mais il y a cette chose admirable : rien n’est enregistré. On a un exemplaire unique. Quand on l’aura envoyé, si c’est une lettre, il n'en restera trace que dans le souvenir, qui s’effacera plus ou moins rapidement. Cette absence de sauvegarde n'a pas de prix.
Il faudra ensuite attendre que quelque chose revienne. Ou pas.
Peut-être qu'un jour quelqu'un retrouvera cette merveilleuse, forcément merveilleuse lettre dans une boîte à chaussures cachée derrière une plinthe. Ou pas. Ca aussi, c'est bien.
Ecrire à la main, c’est aussi un moment où on ralentit, où on est concentré sur quelques petites choses, de petits gestes, de petites sensations qui vont s’accorder si tout va bien : la main et le bras, la position du corps sur la table, la couleur de l’encre, la sensation minuscule et intense de la plume, la lumière de la nuit autour de la table de travail. Ou bien un jour, sur le muret de pierre d’une chapelle désaffectée, sous un marronnier, le mélange de la lumière, de la plume sur le carnet, des notes sur la photographie qu’on vient de faire, du livre posé à côté de soi dont on vient de lire dix pages, du goût de la pomme et du pain posés sur la pierre. On redevient monotâche à ce moment-là, réduit à pas grand chose, tout l’esprit mobilisé, concentré, tendu vers ce qui s’écrit, conscient de ce qui entoure et de ce qui traverse.
En fait, en dehors des lettres, je ne sais pas si je saurais encore écrire longtemps à la main. Pour être tout à fait franc, mettre au propre les notes de la chapelle le soir au portable dans la chambre d’hôtel, ça marche bien

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Je crois en fait que j’aime bien le côté travail manuel, travail d'une page comme on travaille le bois là-dedans. D'ailleurs, encore mieux que la plume, il y a le crayon de papier !
Je crois surtout que j'aime bien me raconter des histoires sans queue ni tête le dimanche à propos de stylos.
Jimmy