Les Iroshizuku sont Tsuki-yo bleu nuit, Fuyu-Syogun gris bleuté, Ku-jaku bleu paon, Syo-ro vert d’eau, et Shin-ryoku vert pin, plus Tsukushi et Yama-guri, deux bruns. La Caran d’Ache est la Saffron orange, il en sera question ailleurs. Les noms anglais sont ceux donnés sur le site Pilot. La partie de Bluebird est écrite en italique.
J’ajoute mon premier grain de sel : avant l’encre, les noms, enchanteurs. Iroshizuku signifie littéralement “ gouttes (shizuku) de couleur (iro) “. Et puis il y a le flacon. Forme pure, allongée comme une étrave. L’encre n’est pas cachée par l’étiquette, elle est comme une petite mer que l’on tient dans la main . Quand on incline le flacon, elle se dépose et laisse voir sa couleur.


Les caractéristiques communes à ces encres sont une excellente fluidité - avec quelques disparités, certaines le sont un peu moins, je n’entrerai pas dans les détails -, du "corps", elles ne sont jamais aqueuses, et une bonne lubrification, quoiqu'elle aussi variable selon les encres. On voit tout de suite que certaines plumes coulent comme des fontaines avec ces encres, que certaines sont bonifiées par ces plumes, surtout quand leur débit est un peu faible. Pour celles qui coulent déjà bien, c’est parfois presque le Niagara. J’ai essayé Tsuki-yo et Syo-ro avec d’autres plumes pour mieux les juger.
J’utilise ces encres depuis quelques mois, en particulier dans les plumes anciennes, sans aucun problème. Elles me paraissent en effet très fluides.
Autres caractéristiques. L’ombrage n’est à une ou deux exceptions près pas très marqué avec les plumes et les papiers utilisés. Le temps de séchage est en général moyen, correct. On devine dans les taches de plusieurs d’entre elles d’autres couleurs, taches qui montrent des reflets métalliques quand l’encre est concentrée. Deux ou trois d’entre elles changent très fortement de couleur en séchant. Le papier utilisé pour les photos est le vergé Lalo blanc.

Tsuki-yo (Moonlight) : c’est un beau bleu nuit assez classique un peu gris dans lequel on peut deviner une infime touche de vert qui devient très visible au séchage. L’encre est plus grise en réalité, moins verte que sur la photo. La couleur est belle mais assez courante (les commentaires sur les couleurs sont évidemment personnels). La plume fine un peu sèche du Pilot Silver est transformée par cette encre, ce devrait être la même chose avec d’autres encres.
Tsuki (月), la lune, yo (夜), la nuit, le soir. Bleu de nuit apaisant, discret, avec, en effet, une fois sèche, une ombre de vert. Je la trouve subtile et plus soutenue qu’il n’y paraît au premier abord. C’est une belle encre .
Fuyu-syogun (Old man winter) : un gris bleuté assez clair. Le bleu très visible dans la tache disparaît presque complètement dans l’écriture. Ce gris nuage est une couleur peu courante, magnifique, une de celles que je retiens. Elle donne envie d’essayer l’autre gris de la gamme, le Kiri-same (Autumn shower) qui me fait envie depuis le début. Une heureuse découverte. Et quel nom magnifique !
Fuyu (冬), l’hiver, syogun, syo ou so (将), le commandant, gun (軍) l’armée (syogun ou shogun), bref le Général Hiver... avec un nom pareil, on s’attend à voir surgir du brouillard les armées impériales et on frémit avant les premiers coups de sabre... Dans le flacon, c’est une merveille gris bleuté, presque mauve. La brume du petit matin sur le campement du shogun... Sur le papier, avec une plume fine, un gris bleu magnifique, très vivant (les gris laissent toujours craindre l’inconsistance vaporeuse, ce qui n’est pas le cas ici). Je ne l’ai pas encore beaucoup utilisée, je pense qu’elle fera merveille avec une plume flexible. J’ai eu l’occasion d’essayer brièvement Kiri-same, plus sombre, comme une nuit de mauvaise tempête... Somptueuse. Pourtant Kiri-same, c’est la pluie légère, la bruine, mêlée de brouillard... dans mon souvenir, elle est comme un horizon qui s’assombrit.
Syo-ro (Dew on pine tree) : une étrange couleur, insaisissable au premier abord (et même aux abords suivants !). Des sept, c’est celle avec laquelle j’ai pour l’instant le plus poussé les essais, ce n’est pas la plus fluide du lot, elle a un peu plus d’ombrage que d’autres avec une plume large. Elle change de nuances selon les plumes et les papiers, elle change complètement de couleur en séchant, on a parfois du mal à la définir tellement elle peut apparaître différente, elle peut même être laide et sale. C’est une des trois que je garderais grâce à cette indécision et à ces variations. Si son nom évoque le pin et la rosée, ce vert est peut-être de toutes les couleurs que je connais celle qui parle le mieux de la mer et de ses changements. Vert-bleuté mouvant des vagues un jour en mer d’Iroise, vert inquiétant des eaux troubles à d’autres moments. Ceux qui vont en mer comprendront de quoi je parle. Superbe, superbe, superbe, cette encre qui m’emporte ne ressemble à rien de ce que je connais.
Syo-ro, syo (ou sho) le pin (松), ro (露), la rosée : l’indéfinissable Syo-ro. Pourtant, dans le flacon, elle est tranquillement bleu-vert. Sur le papier, est elle littéralement imprévisible, foncée en plume large et flexible, mer de tempête, plus sereinement végétale avec une plume moyenne et rigide, je ne sais jamais tout à fait à quoi m’attendre. Cette encre s’infiltre un peu partout, comme la mer entre les rochers. Elle a tendance à s’inviter dans toutes mes plumes...
Ku-jaku (Paon) : bleu paon intense, une des couleurs que je souhaitais le plus essayer. Saturée, bel ombrage qui évoque les reflets, c’est vraiment le bleu changeant des plumes du paon, qu’il aurait fallu essayer avec une plume moins grasse. Elle fait beaucoup penser à la Waterman bleu-noir avec certaines plumes dans ses grands moments, en plus intense. A côté des autres, elle est éclatante, sans grand mystère, je partage l'avis de Bluebird.
Ku-jaku (孔雀) le paon. Voici un bleu joyeux, qui s’amuse à être un peu turquoise. Encre vibrante, lumineuse, elle vous réveille son papier en un tour de plume. Pas l’ombre d’un mystère dedans, mais le paon est là pour être vu, pas pour se cacher dans les feuillages...
Shin-ryoku (Forest green) : vert doux qui évoque... la forêt au printemps. Je n’aurais pas dû lire le nom ! Cette encre où on devine à peine un soupçon de bleu, qui ne change presque pas de couleur m’a un peu déçu. Bien équilibrée mais plus banale, sans personnalité affirmée peut-être, si elle est loin d’être désagréable, il lui manque quelque chose à mon goût. Un vert qui ne serait pas encore à maturité. Joli sur les taches, un peu moins dans les mots. Particulièrement plaisante avec la plume utilisée.
Shin-ryoku, il semblerait que shin soit un radical signifiant “arbre”, “forêt , ryoku (緑) vert , d’autre part “ shinrinyoku “, nom , très proche semble-t-il de celui de notre encre, signifie “promenade paisible dans la forêt”. J’ai très peu utilisé cette encre mais, de manière générale, j’ai beaucoup de difficultés à utiliser les encres vertes. Parce que, n’est-ce pas, le vert est vert et qu’il est condamné à rester vert (contrairement au bleu qui peut s’autoriser toutes les libertés...). Shin-ryoku est un vert profond et franc, certainement plus subtil pour d’autres regards que le mien. Evidemment, maintenant que j’ai découvert son presque homonyme, “ shinrinyoku “, peut-être va-t-elle m’appeler un peu plus, comme les arbres le font...
Les deux autres sont des bruns, d’elles je n’ai que quelques mots sur une feuille de vergé Lalo de couleur ivoire avec qui elles se marient évidemment parfaitement. Voici la photo.

La première est Tsukushi (Horsetail), un brun moyen à arrière-tons très légèrement rouges. Très belle couleur. On remarque sur les traits de pinceau des reflets métalliques vert assez forts qui font penser aux miroirs d’argent qu’on rencontre en tirant des photographies avec certains procédés du XIXème siècle. « Horsetail » signifie « prêle », je ne peux pas m’empêcher en lisant le nom de penser à une robe alezane. Je cherchais le lien avec la prêle, Bluebird l'explique juste en dessous.
Tsukushi, (se décompose en 土 radical signifiant la terre, et 筆 le pinceau), le tout signifiant la prêle... La prêle a, semble-t-il, un épi de couleur brun-rougeâtre. Du rouge dans le brun, le pinceau qui aurait été chercher de l’argile un peu rouge, voilà Tsukushi. Couleur addictive assez proche de Café des Iles d’Herbin, en plus foncé, elle aussi trouve très facilement les plumes...
L’autre brun, Yama-guri (Wild chestnut), est la troisième encre dont je raffole. Une couleur dont je ne pensais pas qu’elle m’attirerait en la voyant sur écran. Un magnifique brun terreux. Je prends, je prends tout de suite.
Yama-guri, yama (山) la montagne, guri (ou kuri ?) (栗), châtaigne. Terre sombre, austère, presque noire dans certaines plumes fines, cette encre est de toute beauté. Elle ne plaisante pas, Yama-guri, elle me fait même un peu peur parfois, en particulier dans mon Pelikan 100, qui la distille comme du sang d’encre.
A côté d’un marketing à étudier dans les écoles de commerce qui table sur la rareté organisée, la qualité et la préciosité, Pilot a très bien joué avec l’idée japonaise du temps, des plantes et des saisons, c’est une des raisons du succès des Iroshizuku : équilibre de la gamme où les couleurs se complètent parfaitement, où se côtoient la force et la douceur, noms qui évoquent le titre d'une estampe. La nature est toujours présente, à chaque encre on associe un moment du jour ou de l’année, on pense aux "mots de saison". On a envie de passer de l’une à l’autre.
Il faudrait essayer ou avoir des avis sur les autres, Yama-budo (Crimson glory vine), Momiji (Autum leaves), les feuilles d'érable en automne, Asa-gao (Morning glory)... dont on ne se lasserait pas de lire les noms. Ces encres sont un mélange de fascination et parfois de petite déception. Certaines parmi ces quelques couleurs sont exceptionnelles, goût personnel laissé de côté, d’autres sont plus ordinaires qu’attendu. Même commentaire du côté de leur comportement. Je serais curieux de savoir ce qu’il en est à l’usage côté encrassement des stylos. J’imagine qu’il n’y a guère de crainte à avoir, mais certaines ont l’air très chargées.
Il serait intéressant, vu leur prix dément auquel il faut ajouter le port si on les fait venir de loin, de rechercher des équivalents dans d’autres marques. Ce serait assez facile avec certaines couleurs, sur d’autres comme Syo-ro, ce ne sera pas aisé.
Le prix est conséquent mais il existe un certain Taizo, sur la Baie (Engeika) qui, de manière un peu irrégulière (Pilot doit faire son dragon de temps en temps), propose des prix très intéressants.
Voilà. Je ne me suis pas attaché aux détails physiques en cherchant plutôt à rendre les grandes lignes communes de comportement et en parlant d’abord de la couleur. J’ai plutôt préféré les plumes larges pour qu’on voie bien la couleur sur l’écran. J’espère pouvoir les corriger correctement pour que l’écran leur rende justice.
Pour ma part j’invite tous les honorables japonisants à corriger, compléter tant qu’ils le voudront mes petites recherches sur les noms. Je me suis aidée en cela du dictionnaire en ligne http://tangorin.com/ .
Bluebird (Patricia) et Jimmy
PS : après avoir posté, la Tsuki-yo est un peu verte sur mon écran. Les autres me semblent assez correctement rendues, avec bien sûr des différences malgré tout.
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