
Forme et esthétique.
La forme du Piccolo m’a toujours beaucoup plu : très court, large, très trapu, les extrémités coniques, avec ce quelque chose qui me rappelle les anciens stylos utilitaires que j’affectionne, un stylo dont on se dit qu’on va prendre plaisir à l’emporter partout et à tenir des notes. Je passe sur la fabrication, les attraits et les qualités incomparables de la laque urushi mille fois écrits et répétés : la profondeur de la couleur, le toucher incroyablement sensuel et chaleureux, la grande résistance aux chocs et aux rayures. La qualité de fabrication est parfaite, on sent les p’tites mains derrière.
Ayant vendu le Piccolo, le toucher de celui-ci me manquait. Après avoir un peu hésité sur la couleur, aimant le brun dans les couleurs de stylo, je me suis décidé pour une couleur moins courante que les trois classiques : un Yellow tamenuri. Comme à l’accoutumée avec l’urushi, plaisir du temps qui passe, la couleur est en train d’évoluer lentement. C’est au départ un brun chaud très foncé avec une sous-couche de brun beaucoup plus clair, voire un peu jaune. Ces bruns sont très doucement en train d’éclaircir, petit plaisir de la laque, les deux couleurs évoluant différemment. La couleur, beaucoup plus claire à cet endroit qu’ailleurs est absolument superbe, très nuancée et transparente sur la section et les filets, le corps et le capuchon étant plus sombres, le brun clair apparaissant comme sur les autres modèles aux angles et décrochements. La meilleure comparaison que je puisse trouver est celle des anciens poêles en fonte émaillée marron de mon enfance : la similitude est presque parfaite. Il y avait dans la pièce unique de la maison où je suis né une cuisinière à bois de cette belle couleur. Profondeur de la couleur et du glacis, nuances subtiles des bruns, chaleur, tout est là.

Les deux autres stylos avaient été choisis sans agrafe pour ne pas altérer la pureté de la ligne. Sur celui-ci, j’ai préféré l'agrafe en connaissance de cause, sachant que celle-ci briserait un peu l’épure mais serait beaucoup plus pratique. J’ai souvent dit mon peu de goût pour le dessin des agrafes des Nakaya et Platinum qui m’apparaissent un peu grossières et sans recherche. Même avec sa forme ramassée, le stylo mériterait quelque chose de très pur mais aussi d’un peu plus raffiné. Pas vraiment de regret, je savais ce que je choisissais, j’ai privilégié l’aspect pratique.
Si le stylo est court, il est également assez gros. Mesurant presque 1,3 mm de diamètre vers les filets, dimension courante, il dépasse les 1,5 au-dessus du décrochement du corps. Tenant mes stylos loin de la plume, c’est là que se loge le pouce. Autant dire que c’est un stylo de fort diamètre qui ne conviendra peut-être pas à toutes les mains, avec lesquelles il pourra être pour certaines un peu fatigant lors de longues séances d’écriture. Le décrochement entre corps et section n’est pas gênant pour moi. Concernant la longueur, il est préférable avec un stylo en laque de ne pas lui mettre le capuchon pour écrire : la longueur pourra surprendre, je trouve quant à moi que cette forme trapue et très courte a beaucoup de charme. Quant au poids, rien à dire, le stylo est assez léger avec son corps en ébonite (snif snif !), ce qui est pour moi un gage certain de confort quand on écrit longtemps.
Le remplissage
Le remplissage se fait soit à l’aide du classique convertisseur Platinum-Nakaya, soit en utilisant les cartouches à bille de bonne contenance de l’excellente encre bleue ou noire de la marque, soit à l’aide d’un petit adaptateur (fourni) pour cartouches internationales. On peut donc utiliser l’encre de son choix.
La plume et l’écriture
Cela nous amène au coeur du stylo, sa plume. Là, je vais devenir beaucoup plus nuancé. Il faut garder en tête que mes avis sur les plumes n’engagent que moi et que d’autres ne les partageront pas. J’ai déjà écrit mes réserves sur les pourtant très bonnes plumes Nakaya. C’est pour cela que j’avais vendu le Piccolo noir : la plume standard rigide, que j’avais fait retailler en oblique, beau travail en passant, n’était pas assez alimentée, le débit était beaucoup trop faible à mon goût. C’est la même chose pour la plume M standard du Cigar, et c’est encore le cas de celle-ci. Sur une échelle de 1 à 10, 6 étant le réglage moyen, celle-ci serait à présent, après quelques semaines d’utilisation réglée vers 4-4,5, insuffisant à mon goût. La plume s’est un peu faite après plusieurs semaines, mais c’était très gênant d’entrée où le débit était vraiment faible. En appuyant dessus, il n’arrivait plus d’encre après moins d'un centimètre de trait, cela quels que soient l’encre et le papier utilisés. Cela arrive encore souvent. J’ai lavé, relavé, changé l’angle..., rien n’y a fait. On remarquait nettement à la loupe au début de classiques « fesses de bébé » sur la pointe, qui se sont un peu atténuées avec le temps. Après plusieurs semaines, cela s’est un peu arrangé, le débit s’est amélioré mais reste nettement sec, on voit bien que l’alimentation est à la peine, ce qui m’enlève un peu du plaisir d’écrire. Peut-être, je ne sais pas, Nakaya anticipe-t-il avec ce réglage qui semble la norme de la maison la main un peu lourde commune aujourd’hui. Peut-être est-ce un problème de structure de l'alimentation. Quand on essaie d’avoir la main légère avec cette plume souple, quand on ne cherche pas les pleins et déliés en appuyant fort, cela gâche un peu le plaisir.
Rajouté plus tard : avec un peu de recul, je pense que la plume étant souple et s'écartant beaucoup du feed quand on appuie un peu, la plume n'est du coup pas assez alimentée. On retrouve cela avec une autre plume japonaise du même genre dès qu'on écrit rapidement en appuyant.
J’ai en général assez peu d’interêt pour les plumes rigides, encore que je doive reconnaître à la M du Cigar affinée en principe au Japon selon mes désirs, à laquelle j’avais mis un moment à me faire, une qualité bien au-dessus de la moyenne. C’est une plume que j’ai mis longtemps à accepter, qui me plaît maintenant beaucoup quand je la retrouve. Mais je préfère un peu de souplesse pour bien suivre les élans de la main.
J’ai hésité entre l’Elastic et la Soft et flexible. Loïc, dont on ne louera jamais assez la disponibilité et la patience m’a longuement fait essayer les deux sur de nombreux stylos et dans différentes largeurs. Avec la belle Elastic échancrée, tout est dans la sensation : la plume est très souple, elle offre très peu de variation de trait, on dirait une suspension hydropneumatique de DS19. La Soft flexible est une plume classique semi-flexible avec les sensations habituelles de ces plumes. L’appellation « flexible » est un peu usurpée, elle ne l’est pas trop, en fait, comme c’est le cas avec la plupart des plumes modernes. La largeur du trait varie un peu, mais il faut appuyer assez fort. En écriture courante, on est en terrain connu, elle est bien amortie, agréable, ce que je recherchais. C’est donc elle que j’ai choisi en taille M, qui comme à l’accoutumée avec les plumes japonaises est plutôt équivalente à une F occidentale, encore qu'avec certaines encres très fluides, dont celle de la marque, on se rapproche d'une M occidentale. Je l’ai choisie monocolore, une bicolore aurait juré avec la couleur du stylo.
Ca se gâte un peu à présent : ce que j’aime dans ces plumes mœlleuses pour qu’elles soient vivantes, c’est un trait net, incisif, mordant, que je ne trouve pas dans cette plume, le fabricant ayant très clairement fait le choix du compromis vers la douceur qui gâche un peu la sensation et le feedback que je recherche. C’est trop doux, ça gomme trop les sensations. On comprend ce qui se passe quand on regarde la pointe à la loupe : la forme de l’iridium est un peu inhabituelle, c’est en fait une grosse boule complètement ronde avec un décrochement sur l’arrière, on n’y voit pas de bords légèrement marqués ni de petite surface un peu plate. Je n’ai pas d’objectif macro pour photographier le profil un peu étrange de cette pointe. Pour faire ce que j’aimerais de cette plume excellente au demeurant, il devrait suffir 1/ d’accentuer un peu le débit 2/ surtout de la faire retailler légèrement pour qu’elle morde un peu plus sans trop perdre de sa douceur, tout devrait alors rentrer dans l’ordre. Je vais peut-être l’envoyer à Minuskin.
Il est maintenant temps de récapituler.
Ce que je regrette (je ne parle pas de pour et de contre, puisque certaines de ces choses vont varier selon les utilisateurs ou ont été choisies en connaissance de cause) :
- L’agrafe pas très jolie, mais bien pratique.
- Le diamètre un peu fort.
- Le débit d’encre assez faible.
- La façon dont est taillée la plume semi-flexible.
Ce que j’aime :
- La couleur merveilleuse, la forme très pure et très typée, la laque urushi, le toucher, la légèreté, bref, tout ce qui vous traverse quand on le regarde ou qu’on pose les doigts dessus. C’est un bel objet poétique et un magnifique instrument d’écriture.
Si je devais changer quelque chose :
- Ce serait d’abord ce que j’ai écrit plus haut à propos de la plume. Je garderais la Soft et flexible.
- Je choisirais le stylo avec quelques ornements sobres et pas ruineux : un zogan sur la section peut-être, quelques kanjis à l’extrémité. Le rêve serait de choisir un décor, mais le prix très raisonnable s’envolerait alors.
La photo du fond est tirée du livre "Oku mikawa" de Shinzo Maeda.
Voilà. J’espère avoir fait un tour complet et vous avoir intéressés et informés. Commentaires, questions, discussions welcome comme toujours.
Jimmy