L’INAttention (mélodrame rural en un acte).
La peste soit des cimaises immobiles du temps !
Cet abonnement à l’Institut National de l’Audiovisuel est malsain, morbide, dérangeant.
Tout commence avec la nostalgie, ce petit écœurement du cœur, celui qui prend son sens figuré au pied de la lettre, au fond de la gorge.
Ce serait bien de revoir l’ambiance de cette enfance que l’on commence à perdre sérieusement de vue, mais qui revient dans des souvenirs à la fois nets et troublés.
Rechercher une atmosphère, l’air du temps, le temps passé, plus que le spectacle, l’émission de télévision ancrée dans un inconscient collectif, qui nous fabrique comme un élément social bien conforme.
Ah, fallait-il regarder ?
Tout commence « Au théâtre ce soir », une pièce du début des années soixante-dix, noir et blanc, image sans contraste, théâtre de boulevard dans les salons ruraux.
Au générique, des gens pas très jeunes, prennent leur place dans la salle, dans un brouhaha interrompu par les trois coups.
C’est troublant d’imaginer que la grande majorité de ce public est déjà mort depuis longtemps.
On les regarde sans les voir ; mais là, il y a un gros plan sur un visage et ce visage me dit quelque chose. Un air de déjà vu, un vague parent … Non, une ressemblance manifeste.
Cet homme me ressemble étrangement ; il doit avoir une cinquantaine d’années.
Retour, arrêt sur l’image ; fin du délire.
Deux jours passent, enfin je crois. Un reportage de mille-neuf-cent-cinquante-neuf, avec un micro-trottoir dans une station balnéaire. Les bienfait des vacances et ce jeune couple qui répond en souriant aux questions. Elle lui ressemble, elle a sa voix ; il me ressemble quand j’avais trente ans.
Je perds la tête ; je n’étais pas né, je n’existais pas encore, elle n’existait pas encore ; elle n’existe plus.
Je me mets à regarder frénétiquement les documentaires et à chaque fois je me retrouve, à des âges différents, avec ou sans elle.
Il y a bien longtemps que je suis enfermé dans cette pièce sans fenêtres ; je ne peux plus écrire ; je ne peux que regarder cet écran, me regarder vivre ces autres vies.
Suis-je encore vivant ou simple spectateur ?
La peste soit des cimaises immobiles du temps !
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