Le vice-amiral Frank Lenski, commandant en chef de la flotte allemande et de ses forces de soutien, était tendu ; son impassibilité affichée était trahie par les rides de son front et la crispation de sa mâchoire...
Il serrait à le rompre un stylographe à la carrure aussi impressionnante que celle de l'amiral, un Pelikan Souverän M 1000 Stresemann noir et vert, qui lui avait été offert à l'occasion de son accession à l'amirauté.
Il faut bien dire que la matinée avait pourtant commencé dans les meilleures conditions du monde : l’amiral, qui pour être amiral, n’en était pas moins esthète, regardait, pour passer le temps, son forum favori, SPO.
Pour ne pas laisser repérer son identité réelle par les services d’espionnage étrangers, sachant que, parfait francophone, il lui arrivait cependant parfois de laisser passer un germanisme, il avait adopté un pseudonyme baroque, et un personnage d’architecte suisse alémanique précisément grand esthète et grand amateur de stylos, sachant que, le forum n'étant pas encore parlant, en dépit des efforts du Progrès pour abolir l’Écrit, personne ne remarquerait qu’il n’avait pas l’accent schwytzerdütsch…
Son doux repos fut soudain troublé par l'irruption en son bureau de sa secrétaire particulière, Frau Dresling ; Frau Dresling, normalement image même du calme, du sérieux, de la ponctualité et du respect des formes prussiens, semblait fort agitée, et en avait même oublié de frapper à la porte avant d'entrer.....
Pris de panique, l'amiral ferma désespérément la fenêtre en laquelle il jouait avec SPO, revint à la page du ministère de la Défense, et se composa une attitude digne...
"Que se passe-t-il donc, qui vous fasse courir ainsi ?" demanda-t-il. "Doch, Herr Admiral, n'avez-vous pas lu la dépêche tombée à l'instant sur l'intranet du ministère ?", rétorqua Frau Dresling, l'air inhabituellement agité ;"le Bundesnachrichtendienst signale qu'un commando bordure s'est embarqué sur un navire de plaisance loué dans un port syldave, et fait route vers les gazoducs Nordstream au large de Bornholm ; le commandement des commandos marine vient de téléphoner pour solliciter l'ordre d'intercepter ce navire de plaisance et, en cas de résistance, l'envoyer au fond de l'eau ! Je viens de préparer dans l'urgence l'ordre écrit; dès que vous l'aurez signé, je reviens le scanner et l'expédier aux commandos !"
Frau Dresling tourna les talons, et disparu en courant...
Complètement revenu de ses rêveries devant la rubrique "Choses plus ou moins intéressantes"

, l'amiral Lenski empoigna son Pelikan Souverän M 1000 Stresemann noir et vert, qui lui avait été offert à l'occasion de son accession à l'amirauté, et entreprit de signer l'ordre d'intervention..........
A ce stade du récit, "Pourquoi signer à l'encre un document papier, alors qu'il s'agit d'une procédure d'urgence", vous demandez-vous, perplexes.........
Précisément, parce qu'il s'agit d'une procédure, que le règlement dit que l'ordre doit être signé à la main et à l'encre, pour éviter toute manipulation d'un hacker rusé, et que l'Allemand est esclave du règlement et de la procédure..........
Le document lu à toute allure, l'amiral Lenski posa sa plume sur le papier, et................ le M1000 fit un faux départ, ... refusa d'émettre le moindre trait... Pourtant, Frau Dresling, secrétaire modèle, procédait tout les matins à un remplissage des plus soigneux du Pelikan, avant que l'amiral n'arrivât au bureau.......
Dans son énervement subit, l'amiral changea de main :

Mais le stylo, ne fonctionna pas mieux pour autant....
"Verdammt ! Frau Dresling, was soll es bedeuten ? Wir werden uns noch sprechen !"

, hurla l'amiral, au comble de l'énervement et de l'inquiétude
Puis il secoua violemment le stylo-plume,................. qui laissa tomber une grosse tache d'encre bleue............ marine (ça va de soi) au bas du document.....
Frau Dresling ne revenant pas, l'amiral, au comble de l'énervement, essuya l'encre tant bien que mal du bout de l'index, pour pourvoir signer ensuite, puis, excédé, lécha le papier pour tenter d'estomper la tache...
Trente secondes plus tard, il était mort........
Une demi heure après, deux explosions déchirèrent les eaux calmes de la Baltique centrale, suivies d'épanchements de gaz....

L'Allemagne était définitivement coupée de la Russie........
Une heure plus tard, le médecin légiste déclarait que l'amiral Lenski avait succombé à une dose massive de Novitchok, poison que la police scientifique retrouva immédiatement à forte concentration dans l'encre du Pelikan.....