Tu nous proposes un peu de passer notre dimanche sur le divan du psy, en somme... Pourquoi accumuler 100 ou 200 ou 500 stylos alors qu'un seul suffit largement pour écrire ?... C'est grave, docteur ?
Je possède pour ma part une centaine de stylos, en grande majorité des vintages. Et j'assume entièrement le terme de "collectionneur".
Dans ma façon de collectionner, il y a des critères qui ne varient pas depuis le début, et d'autres qui sont en évolution constante.
Parmi les critères immuables, il y a l'intérêt pour l'objet historique : le stylo qui a inauguré ma collection est un Pelikan 140 trouvé sur le marché aux puces de Budapest en 2013. Déjà il y a l'émotion d'écrire avec un objet qui est passé entre d'autres mains, qui a "vécu" une époque que je n'ai pas vécue. Les grandes marques historiques de stylos viennent de pays à l'histoire particulièrement riche (Allemagne, USA, France, Italie). Ecrire avec un Waterman ou un Montblanc des années 1930, c'est faire un voyage dans l'espace et le temps où se mêlent l'imaginaire et le documentaire. J'ajoute que j'aime assez - même si cela leur fait perdre de la valeur - les stylos gravés du nom de leur ancien propriétaire. Cela ne fait que renforcer l'idée de transmission à laquelle j'accorde une grande importance.

Il y aussi une part de nostalgie assumée dans le fait de collectionner des stylos vintage. J'ai 47 ans, un âge qui m'a permis d'assister au passage extrêmement violent de la société de l'écrit à la société de l'image. J'ai vécu mon enfance et mon adolescence en voyant s'éteindre la première, je vis désormais dans la seconde. Cette société des réseaux sociaux, de l'obsession pour l'image et les apparences, des jugements à l'emporte-pièce de plus en plus violents, ne me convient guère. Ecrire à la main et à la plume est un acte de (timide) résistance, car l'écriture manuscrite nécessite de ralentir sa pensée pour qu'elle s'adapte au geste. Sur un clavier d'ordinateur, tous les signes se valent : un "a" équivaut à un "?" qui lui-même équivaut à une ",". Ce n'est pas du tout le cas pour l'écriture manuscrite. On peut prendre pour exemple la virgule : dessiner une virgule à la plume, c'est offrir une vraie respiration à sa pensée en forçant la main à revenir en arrière vers le début de la phrase. Est-ce que la touche "," sur le clavier d'ordinateur nous invite à un tel geste réflexif ?

Il y a aussi une part d'enfance dans la démarche du collectionneur. On accumule de tout dans ses tiroirs. On est heureux comme un gosse quand on a trouvé la couleur ou le modèle qui manquait à une "mini-collection". On est frustré, voire furieux, quand la plume de sa dernière trouvaille déçoit, accroche, a des ratés... ou quand un joli celluloïd vous casse entre les doigts en voulant le démonter...

En dehors de ces critères immuables, ma collection change, évolue sans cesse. Au départ je n'aimais pas l'ébonite. Je me suis séparé de quelques Waterman marbrés qui ne me touchaient guère... et aujourd'hui je viens de me faire fabriquer par Matthieu un stylo sur mesure... en ébonite marbrée rouge !

De même, je n'étais guère séduit au départ par les modèles des années 60/70. Les plumes capotées, pas mon truc non plus. Or, à l'usage, je me suis laissé conquérir par le Parker 51 puis par le Parker 61, ce dernier étant finalement l'un des meilleurs stylos que je connaisse.

Je pense réduire ma collection dans les années à venir. Garder ce qui m'intéresse du point de vue historique (quelques jolis MB anciens, mes Waterman overlay argent qui me touchent toujours autant, quelques Duofold et Vacumatics de grande taille), conserver les quelques stylos du quotidien qui m'accompagnent pour leurs qualités d'écriture - ce sont toujours les mêmes -, et me séparer progressivement du reste. Collectionner n'est pas nécessairement accumuler...
J'espère ne pas avoir été trop long.
Vous me direz combien je vous dois pour la séance, Dr Z. ?
