Peter Carl STRUBLER est né en 1859, dans un petit village au Nord de Berne, Mühledorf. Il est fils de cultivateur, et en tant qu’aîné, est destiné à reprendre la ferme familiale.
Cette perspective ne lui convient pas.
Très tôt, il manifeste un goût pour la mécanique de précision. Sa mère se rappellera longtemps qu’il démonte l’horloge familiale lorsqu’elle ne fonctionne plus, et la répare alors qu’il n’a que 12 ans.
Agé de 13 ans, il demande à son père s’il peut entrer en apprentissage à l’atelier de son oncle, Paul STRUBLER, qui construit à Berne, des machines pour le polissage des pierres précieuses destinées à la joaillerie.
Soutenu par sa mère, il obtient gain de cause, avec promesse de revenir à la ferme si son frère cadet ne veut pas la reprendre.
Peter Carl serait prêt à tout pour assouvir sa passion de la mécanique…
A Berne, Paul confie son neveu à un précepteur le matin, et lui apprend les ficelles de son métier l’après-midi. Peter Carl excelle, et travaille y compris le dimanche, après le culte.
Son précepteur lui donne le goût de la lecture, et de l’écriture.
L’ingénieux élève cherche très vite à s’affranchir du porte-plume qu’il trouve peu pratique. Le soir, il réfléchit, dans l’atelier de son oncle, à doter un porte plume d’un réservoir.
Nous sommes en 1876, et Peter Carl parvient à 17 ans à construire son premier porte plume à réservoir.
Le précepteur est conquis. Il conseille à Peter Carl de déposer un brevet à l’Institut Suisse des Inventeurs.
Il ne parviendra par contre pas à convaincre Peter Carl de s’inscrire à l’Université : celui-ci est trop impatient de travailler, et de produire en série son porte-plume…
Le mécanisme est assez simple : un tube d’ébonite noire fermé à une extrémité contient l’encre. Le bloc qui porte la plume et un petit canal en ébonite est au départ inséré en force dans le corps. Le flux est régulier après quelques réglages, lesquels consistent à pratiquer un petit trou dans le bout du porte plume, lequel est obturé par une sorte d’aiguille d’ébonite lorsque l’instrument n’est pas en service.
Très vite, Peter Carl dote son porte plume d’un capuchon, puis adapte un pas de vis pour assembler les différentes pièces (corps et bloc plume, corps et capuchon)
Un nouveau brevet est déposé le 14 avril 1878, soit 5 ans avant Waterman !
La production commence dans l’atelier de Paul, à l’été 78. Un magasin de papier à Berne accepte de prendre des instruments en dépôt. Et en commande 50 unités deux mois plus tard !
Fort de ce succès, Peter Carl forme un ouvrier de son oncle, et part pour Bâle puis Lausanne et Genève pour trouver de nouveaux distributeurs.
Dès 1879, 5 magasins distribuent les instruments. L’un d’entre eux, situé à Lausanne, propose à Peter Carl de déposer une marque, le nom de STRUBLER étant difficile à prononcer en Suisse francophone.
Peter Carl choisira « WRITEWELL », dont la consonance américaine devrait, selon lui, faciliter l’accès au marché US.
En 1880, Peter Carl participe à une exposition internationale à Bâle, et y rencontre des papetiers anglais. Il est invité à Londres, et très vite trouve deux distributeurs dans la capitale anglaise.
Un américain de passage à Londres rapporte aux USA un WRITEWELL et ses amis se l’arrachent…
Propriétaire d’une chaîne de magasins présents dans 8 grandes villes américaines, il commande 10.000 WRITEWELL à Peter Carl et obtient la distribution exclusive aux Etats-Unis dés 1882, soit un an avant le lancement de Waterman’s pen Co !
L’atelier est converti à la fabrication exclusive des WRITEWELL, et du personnel est embauché.
Un ami de son oncle, joailler, lui commande un WRITEWELL et l’habille d’une gaine d’or ouvragée pour son usage personnel.
Peter Carl signe un contrat avec lui pour habiller des WRITEWELL. Dés 1883, les WRITEWELL ainsi habillés font fureur à New-York et Washington.
Un Waterman est rapporté à Peter Carl qui trouve le système plus ingénieux que son aiguille d’ébonite amovible. Il retravaille son instrument et adopte un conduit proche de celui élaboré par Waterman.
Compte tenu du succès américain et anglais de son WRITEWELL, Peter Carl le décrit à compter de 1885 comme un « reservoir-pen », puis comme un « fountain pen ».
L’atelier devient usine, des distributeurs sont trouvés en France, en Allemagne et en Italie, et à l’horizon de 1890, WRITEWELL est l’un des acteurs mondiaux majeurs et le seul concurrent européen de Waterman’s et Parker aux Etats-Unis.
A 31 ans, Peter Carl est à la tête d’une entreprise florissante employant 110 personnes, et s’appuyant sur un réseau de 105 points de vente en Europe (notamment les filiales de Paris, Londres, Bruxelles, Madrid, Barcelone, Rome, Milan, Vienne, Prague, Zurich, Berlin, sans compter les nombreuses agences dans ces villes ou dans des villes de moindre importance) et aux Etats-Unis.
Il se marie à Anna WALSER, jolie jeune femme issue d’une riche famille d’industriels bâlois.
Ils auront 3 enfants, Johannes, né en 1892, Paul, né en 1894 et Anna, née en 1997.
Le catalogue est très varié, et les modèles à habillage sont somptueux. Un accord est trouvé avec Louis Majorelle dés 1894, pour le dessin de certains habillages, et ces modèles, furieusement Art Nouveau, dessinés par le Maître, et portant sa célèbre signature, atteignent aujourd’hui des prix considérables lors des ventes aux enchères (Récent record chez Bonhams à Londres, le 2 décembre 2015, où un modèle rarissime en argent, et rehaussé de pierres précieuses ‘taille cabochon) et présenté sur son stand à l'exposition d'art décoratif des galeries Poirel à Nancy en 1894, marquant les débuts de l’Art Nouveau s’en vendu à 255.000 livres sterling)
Le beau-père de Peter Carl, Claus WALSER, soutiendra son développement, et lui ouvre les marchés de l’Amérique du sud, et de la Russie.
Très vite, Peter Carl rachète ses distributeurs aux Etats-Unis, pour mieux maîtriser la relation à ses clients.
Lors de l’Exposition Universelle de Paris, en 1900, WRITEWELL rafle tous les prix, au grand dam de Waterman’s !
Dans ce ciel bleu, un premier orage éclate lorsqu’un incendie détruit en partie l’usine le 5 septembre 1901, tuant 3 ouvriers restés sur place dans la nuit pour achever une commande.
L’enquête conclut à un incendie accidentel, en dépit des sentiments de Peter Carl qui croit à un incendie criminel dont les commanditaires seraient à rechercher de l’autre coté de l’Atlantique.
La production est arrêtée pour trois mois, et ne reprendra à son rythme normal qu’à l’automne 1902.
Peter Carl Strubler

L’année 1902 sera difficile, et sans le soutien de sa belle-famille, la situation de l’entreprise aurait pu être dramatique.
En 1903, le catalogue est totalement renouvelé, et un système de remplissage ingénieux est développé. Une sorte de seringue est insérée dans le corps du stylo, rallongé pour l’occasion. C’est un nouveau succès commercial pour WRITEWELL!
Les choses s’annoncent bien pour 1904 quand Peter-Carl tombe malade, le jour de Noël 1903. Les médecins diagnostiquent une pneumonie et craignent pour sa survie.
Son beau-père, Claus WALSER, âgé de 69 ans, prend les commandes de l’entreprise.
Peter-Claus sera entre la vie et la mort pendant 15 jours, puis son état s’améliore progressivement. Il restera diminué pendant près de six mois.
A partir de cet évènement, Peter Carl et Claus dirigeront de concert WRITEWELL, en parfaite harmonie, et ce jusqu’à la veille de la première guerre mondiale.
Claus décède brutalement en 1914, un mois avant le début des hostilités.
La guerre ne touche pas la Suisse, neutre, mais la clientèle allemande et française se fait rare. Peter Carl adapte son entreprise et renforce ses efforts commerciaux sur le continent américain.
La guerre sous-marine menée par les allemands perturbera un peu l’approvisionnement des distributeurs, mais cette stratégie de redéploiement s’avère payante.
WRITEWELL sort de la guerre en bonne position, prête à reconquérir les marchés des pays en reconstruction.
Peter Carl n’a jamais cessé le développement et la recherche de produits nouveaux.
Dès 1919, pour les 60 ans de Peter Carl, une nouvelle ligne est lancée. Le succès est immédiat.
Sur le plan managérial, Peter Carl a associé son fils Johannes dés 1900 à l’entreprise, comme simple ouvrier d’abord (« tu dois tout savoir faire quand tu es patron, mon fils »), puis au développement en 1904.
Dés la mort de son beau-père, Peter Carl et Johannes forment un tandem dirigeant l’entreprise avec talent et dynamisme.
En 1924, à 65 ans, Peter Carl transmet le flambeau à Johannes. Il coulera des jours heureux sur les bords du lac Léman jusqu’en 1939, où il s’éteindra paisiblement, à 80 ans. Sa chère épouse le suivra en 1947.
Johannes est un dirigeant ambitieux pour la firme familiale, et audacieux. Il produit une gamme totalement renouvelée, en celluloïd, dés 1924, les premières recherches ayant débuté en 1921. La matière sera achetée à un concurrent bâlois de Dupont de Nemours, Bayer AG.
En 1929 nouveau virage, pour des lignes totalement Art Déco !
Avant les « Doric » de Whal, et simultanément aux « Patrician » de Waterman’s, WRITEWELL produit les fabuleux « Majestic ».
Le « Majestic » est un stylo imposant, disponible dans 6 couleurs de celluloïd, vert jade, bleu profond et bronze, rouge perlescent, noir et or, vert d’eau, et un fabuleux orange et bronze.
Les matières sont magnifiques, et de nature à concurrencer le fameux Patrician Turquoise de Waterman’s.
L’agrafe (en or massif) inaugure cette forme à degrés, très art déco, et la large bague de capuchon reprend les lignes très géométriques en écho au clip.

Les extrémités du stylo portent une pastille en or massif, frappée des armoiries de la famille Walzer, un « W » stylisé dans un écu en relief.
On raconte que Waterman n’apprécie pas du tout ce « W » qui pourrait générer des confusions…
La crise de 29 n’est pas simple à gérer, ni sur les marchés américains, ni sur les marchés européens, mais les excellentes relations de WRITEWELL avec ses fournisseurs, et la maîtrise de ses réseaux de distribution lui permettent de passer la crise sans trop de dommages.
En 1933, des formes aérodynamiques sont lancées, avec le modèle « AEROWRITE » alliant les formes ogivales des Sheaffer’s « Balance » et les facettes des « Doric »…
Les spécialistes parlent des plus beaux stylos du monde…
Le succès est fulgurant ! Les matières produites par Bayer AG ont des couleurs et une profondeur inégalées…
En 1936, WRITEWELL est le premier fabricant européen, et se bat à armes égales avec les plus grands américains.
A l’aube de la 2ème guerre mondiale, les carnets sont pleins, et les cartons des projets également !
1939, Johannes mesure très vite que cette guerre ne sera pas aussi peu contraignante que la première pour son entreprise…
Le marché européen se contracte fortement, les commandes sont annulées, et des efforts considérables sont accomplis pour renforcer la présence sur les marchés américains du nord et du sud, mais cela ne suffit pas à maintenir les ventes, qui chutent de 70 % en quelques mois.
En janvier 1941, pour la première fois de son histoire, WRITEWELL est contraint de réduire son effectif.
Johannes en est fortement atteint. Il fera une tentative de suicide en mai.
Il reste hospitalisé trois mois, et lorsqu’il revient à son bureau, l’entreprise est au plus mal. Il se sent responsable de cette situation et incapable de la redresser. Il annonce sa décision de vendre, le 1er septembre 1941.
La période est mal choisie pour valoriser le fantastique potentiel de WRITEWELL … Le responsable de la division plume quitte la société au début de 1942, bientôt suivi par le directeur des ventes pour le continent américain, et par le responsable de l’atelier des prototypes, lequel emportera avec lui ses cartons et dossiers…
Ils sont recrutés tous trois par Parker, l’un des concurrents de toujours…
Le réseau de distributeurs se délite, et le 30 septembre 1942, l’entreprise est en liquidation.
Johannes STRUBLER vit chez lui, prostré, ne sort jamais, et il disparaîtra le 12 septembre 1946, à 54 ans, de mort naturelle, selon son médecin...
On retrouvera chez lui la liste de tous les employés de WRITEWELL, écrite sur les murs de sa chambre, à l’encre noire, et une phrase : « Je suis la cause de tout ça ! »
Les machines seront rachetées au liquidateur par Pelikan en 1947.
WRITEWELL appartient désormais à l’histoire.
Les collectionneurs ont, depuis les années 80, donné une nouvelle vie aux fabuleux stylos produits par cette entreprise d’exception.
Si vous trouvez un jour un WRITEWELL …ne le laissez pas passer !
Jean Buchser
NB: Cette histoire n'est qu'une invention. Toute ressemblance avec une entreprise existant ou ayant existé serait purement fortuite.