
Omas et Aurora ont presque le même âge, elles sont parmi les plus anciennes maisons italiennes et européennes : Omas a un an quand naît à Turin Aurora, en 1919. Je ne vais pas réécrire ici l’histoire de la marque que tu trouveras facilement, lecteur ou lectrice j’en suis certain curieux. Histoire marquée par le dessin et la production de nombreux modèles remarquables dont on pourra voir quelques exemplaires dans les liens en fin d’article. Aujourd’hui, Aurora continue à fabriquer intégralement ses stylos et reste une des rares maisons qui fabrique encore ses propres plumes. En France, on ne peut que regretter que la marque soit assez mal distribuée quand les Américains par exemple en font grand cas et sont bien mieux traités que nous.
L’Optima donc. Longtemps, j’avais pensé que le premier Aurora que j’utiliserais serait un des beaux 88 d’après-guerre, un des stylos mythiques de l’histoire des stylos à plume. Sa réédition moderne n’ayant en commun avec lui que le nom et un dessin arrondi, c’est l’Optima, lancé au début des années 90, réinterprétation d’un modèle d’avant-guerre qui m’a toujours fait les grosses lèvres. Un dessin classique massif et élégant en même temps, une plume à la réputation un peu particulière, de belles matières et de belles couleurs. C’est un des stylos modernes autour desquels j’aurai tourné le plus longtemps. Et puis par une journée bien agréable, pif paf pouf, alors que j’avais toujours imaginé que ce serait un Auroloide vert, c’est un bleu et argent qui s’est jeté le premier dans mes bras dans une boutique parisienne.
Alors qu’est-ce qu’il a pour lui, cet Optima ? D’abord une forme classique assez pure tout en étant plutôt particulière, juste avec ce qu’il faut d’ornements. L’Optima est à mes yeux presque l’archétype de ce que j’imagine être un stylo à plume classique : un stylo massif tout en restant délicat, aux formes nettes sans mollesse. Un stylo à piston comme le sont la quasi-totalité des stylos européens depuis Mathusalem dès lors qu’ils s’écartent du sempiternel et économique convertisseur, les stylos à cartouche/convertisseur, s’ils sont pratiques, me paraissant toujours un peu manquer de quelque chose. De belles et attrayantes matières, une réalisation et une finition irréprochables. Un stylo court sans capuchon, de fort diamètre (à tempérer, ce que nous verrons plus tard) tout en restant léger, un de mes dadas pour le confort d’écriture durant de longues pages. Enfin des plumes maison de grande réputation, le tout vendu dans un beau et sobre coffret avec une garantie de cinq ans.
Je vous en mets combien ?
On a déjà fait le tour, je pourrais m’arrêter là, mais nous sommes dimanche matin, je n’ai rien d’autre à faire, je continue donc en détaillant. Vous pouvez aller à la pêche ou à la plage sans remords, vous savez à présent l’essentiel.
La présentation.
Je ne suis pas un fanatique des emballages tarabiscotés et souvent atrocement sophistiqués qu’on paye toujours assez cher, mais le coffret sobre et élégant de L’Optima m’a bien plu. Dans une surboîte noire à rabat, un coffret en bois gainé de simili-cuir noir avec un intérieur en tissu crème accueille le stylo, le livret et la garantie. Impression d’opulence discrète, pas de tape-à-l’œil, il faut bien justifier le prix du stylo (environ 450 euros à ce jour en boutique en France pour un modèle Auroloide). Si on doit faire un cadeau où compte le decorum, la boiboîte remplira son rôle.
Le dessin, la fabrication, la matière, les couleurs.
L’Optima est directement inspiré d’un modèle ancien, on voit bien les élements qui remontent de loin dans le dessin. C’est un stylo court et trapu, aux extrémités noires tronquées, légèrement adoucies par une marche discrète. La finition est exemplaire, tout est parfait. Le clip à boule (en métal déployé, ce n’est pas une vraie boule comme sur les Pilot/Namiki) est très simple, sans ressort ni articulation, il déroule son élégante (un adjectif qui va me revenir souvent) courbe le long du capuchon. Ce clip est pour beaucoup dans la beauté de la ligne du stylo fermé. Une large bande métallique ceint la lèvre du capuchon. Elégance encore : le plastique est très fin sous la bande, une lèvre de capuchon fine participe toujours de la délicatesse d’un stylo. Cette bande renforce évidemment cette lèvre qui serait fragile autrement.

Cette bande a évolué depuis les années 90, il en a existé trois légèrement différentes : celle du stylo bleu est la dernière des trois, la moins jolie peut-être à mes yeux. Le nom est ici entouré d’une fine frise grecque, frise qui prenait plus d’importance au centre de la bande sur les deux versions précédente, la bague dorée du stylo vert montrant elle le dessin original qui allège cette bande (on aperçoit le début de la frise sur la photo, qui fait suite au nom). La gravure est très fine et très réussie dans les deux cas.
Le stylo existe dans différentes versions, avec attributs rhodiés ou plaqués or jaune, en résine noire, moins chère, ou en Auroloide de couleur marbrée (actuellement rouge, bleu et vert) ainsi qu’en versions « Riflessi » dorées et argent. Il sert également de base à de nombreuses éditions limitées. L’Auroloide est présenté dans un flou artistique comme une variante de celluloïd. Ce n’est assurément pas un celluloïd classique (un nitrate de cellulose à l’odeur caractéristique et à la beauté souvent envoûtante), je ne sais pas si c'est un acétate de cellulose qu’on rencontre plus fréquemment aujourd’hui, je dirais plutôt, au risque de faire une erreur, que le bleu est une belle résine acrylique. Le plastique de ce bleu ressemble beaucoup à la matière de la très belle couleur Heather du Conway-Stewart 100 essayé ailleurs ici. C’est moins flagrant pour le vert à la couleur plus profonde, mais j'imagine qu'il en va de même. De mémoire, ce plastique vert fait penser à la matière et à la couleur du Sailor Mosaïc, lequel n'est pas un celluloïd. A noter que le vert, qui est un modèle NOS (new old stock, pour prévenir d’éventuelles questions) de 1995 n'était pas vendu sous l’appellation d'Auroloide, mais sous celle de Celluxoide qui figure sur la boîte originale en métal habillé de feutrine, différente de la boîte actuelle. Les premiers modèles d’Optima étaient de vrais celluloïds. Suite à un vieillissement du matériau originel qui le faisait se rétrécir et se déformer, Aurora l'a remplacé par un autre matériau beaucoup plus stable que la marque a baptisé Auroloide. Quand on a vu certains des premiers modèles, on est frappé par la beauté de la matière d’alors, le matériau plus récent ayant un peu perdu de la belle profondeur de celle-là.
Un détail certainement mineur, mais auquel je tiens beaucoup, qui ajoute un charme infime au stylo : le corps du stylo est gravé, comme cela se faisait autrefois, ce qui est devenu rare aujourd’hui, les creux étant remplis de doré sur le modèle vert. L’inscription entourant le logo triangulaire Aurora dit «Fabbrica italiana di penne a serbatoio », Fabrique italienne de stylos à réservoir. Ce n’est rien, mais j’aime beaucoup et je regrette souvent de ne presque plus trouver ça ailleurs.

Les couleurs. Comme écrit plus haut, j’avais toujours pensé que mon Optima serait un vert. Dans la boutique, presque immédiatement, c’est le bleu à attributs argent qui s’est imposé. Un mélange de bleus différents semés de minuscules points d'argent qu'on ne discerne pas sur les photos, une palette qui va du bleu très clair jusqu’au bleu cobalt aux nuances violacées, refroidie par la couleur argent des ornements métalliques. Une couleur lumineuse, qui respire la gaité et l'énergie, impression que je ressens toujours très fort en prenant le stylo en main, une couleur à laquelle je reviens tout le temps pour le pur plaisir de la regarder et de me souvenir de cette journée. Une très heureuse surprise. Je dois dire également qu’étrangement, je n’ai que très peu de stylos bleus.


Le vert, lui, est comme je l’ai dit un stylo neuf de 1995. Acquisition imprévue, mais comment résister, le stylo était proposé par un vendeur sérieux à un prix plus que raisonnable dans la couleur de mes rêves, et j’étais déjà pris par le charme du bleu. La couleur est ici beaucoup plus profonde. C’est un mélange assez foncé de noir, de vert et de bleu iridescents, le vert prédominant dans l’impression générale. La couleur apparaît très différente dans la vive clarté d’un jour d’été ou dans la pénombre d’un soir. Les couleurs sont alors beaucoup plus marquées, plus tranchées, mystérieuses. Comme si des morceaux de couleur, comme si des choses apparaissaient et disparaissaient, tournaient sur elles-mêmes en se transformant lentement dans des eaux sombres et profondes. C’est aussi une couleur qui donne à l’instrument un aspect plus classique que celui du bleu. Les amateurs de réunions sérieuses apprécieront !


La prise en main et le remplissage.
Je vais rabâcher : j’aime les stylos fins et très légers, c’est ce qui me permet d’écrire longtemps et confortablement. Là, un peu de crainte au début : le stylo est gros, trop gros à mon goût (15 mm de diamètre au plus fort du corps). Et pourtant, au final, ce stylo est très confortable, là où je fatigue très vite avec un Pelikan M800, un peu gros mais sans exagération, plutôt moins que l’Optima, et un poil trop lourd. Comme quoi on passe vite un cap, quelques grammes et quelques dixièmes de millimètres peuvent faire une grosse différence. Sur l’Optima, la première différence vient du fait qu’il y a deux bons millimètres de moins entre le corps et la section, pour moi qui tient les stylos assez haut, la préhension en est facilitée et devient confortable, confort accentué par la très longue section. Et surtout, le stylo est léger : 21,5 g avec capuchon, 14,5 g sans. Pour moi qui ne poste jamais le capuchon, c’est parfait, ces quelques grammes de moins et cette diminution du diamètre font toute la différence avec le M800.
Sans capuchon, le stylo est très court, beaucoup plus court que la plupart des modèles d’autres marques, ce qui contribue à son aspect trapu, ce qui ne facilitera peut-être pas la préhension par les grandes mains (erreur, voir la comparaison de tailles plus bas). Aucun problème ici : le stylo devient bien plus conséquent avec son capuchon, l’équilibre est toujours parfait. Je dois dire aussi que si je n’aime pas écrire avec un capuchon, je trouve l’Optima très beau avec.

Sur la forme du stylo toujours, la section est très caractéristique, en dehors de son confort, c’est une des choses qui rend le stylo si particulier, très beau à mes yeux, donne envie de le prendre et de le reprendre en main : cette section noire qui se termine par un butoir très marqué est aussi remarquablement longue, longueur encore accentuée par la fenêtre d’encre, presque un tiers de la longueur totale du corps, là où sur la plupart des stylos la section ne mesure qu’un quart ou un cinquième de la longueur. Ces proportions sont très plaisantes à l’œil, elles concourent également grandement à l’impression de confort.
Autre agrément, la fenêtre d’encre très réussie et très pratique. A noter que les Aurora possèdent une fonction spéciale, une réserve d’encre. Quand l’encre s’arrête, on ne tombe pas brusquement en panne sèche, on dévisse le bouton de piston pour activer la réserve et continuer à écrire. Cette réserve est assez importante. Beaucoup s’esbaudissent sur ce que je considère un peu comme un gadget rigolo, la fenêtre prévenant suffisamment clairement que le niveau baisse à mon sens. Mais bon...

Quand au piston, c’est le plus doux à actionner que je connaisse, la contenance du corps est conséquente, très légèrement plus importante que celle du Pelikan M800 autant que j’aie pu mesurer.
Ze nib, Jimmy, la plume, la-plume !
Le cœur du stylo. Déjà écrit, Aurora reste une des dernières maisons à fabriquer ses propres plumes. N’ayant jamais utilisé d’Aurora, j’étais très curieux de ce qu’on en lisait. Que ces plumes grattaient, qu’elles avait un toucher très particulier, qu’elles taillaient petit...
Après en avoir essayé plusieurs, j’ai choisi une F pour le bleu (taille indiquée non sur la plume, mais sous le feed). Je posais ailleurs la question d’une éventuelle différence de dureté entre or jaune et rhodium, je n’en sais rien, il faudrait comparer par paires. Cette plume au premier coup d'œil plutôt semblable à beaucoup d'autres est rigide, ce qui lui donne l'impression d'être assez dure, sans mœlleux. Précise, sans trace de gratti-gratta, elle est douce et glisse parfaitement. Une très bonne plume, sans rien de particulier à signaler, pas de grands « Oh » d’admiration au premier toucher. Débit parfait réglé un peu au-dessus de la moyenne, largeur un peu supérieure à une fine japonaise (voir la photo des comparaisons de largeur, à venir plus tard pour cause de petit problème), un peu moins qu’une fine européenne. Par rapport à un concurrent direct, le M800, la plume fine du Pelikan est plus large, plus ronde, plus douce, l’Aurora mord davantage, est plus incisive. La F du Sailor 1911 est plus fine (encre Iroshizuku aussi inside), plus précise, plus mordante aussi. La Japonaise et l’Allemande sont également rigides.
[Rajouté plus tard.] Il m'aura fallu cette fois un peu de temps pour m'habituer à la prise en main un peu particulière pour moi et très plaisante dûe à la longue section, et du coup à la plume fine, que je trouve après ce moment d'accoutumance parmi les plus légères, les plus précises et les plus agréables qui soient. Sur le vergé Lalo que j'affectionne elle fait merveille, avec un appui léger, elle donne beaucoup de plaisir, on la sent parfaitement, le couple plume-papier est parfait.
Avec le bleu, on a un choix infini d’encres si on cherche à apparier la couleur de l'encre à celle du stylo. N’ayant pas sous la main d’Aurora bleue dont la couleur tirant légèrement sur le pourpre lui serait allée à la perfection, j’ai choisi une lumineuse, joyeuse et éclatante Iroshizuku Asa-gao qui lui va bien, la lubrification devant être à peu près égale à celle de l’Aurora, les deux donnant peut-être un trait infinitésimalement plus large que d’autres marques et ajoutant un peu de douceur à la plume.

La M de 1995 est très différente. Sa gravure, d’abord, est l’ancienne gravure sans chichis de la marque, pas de volutes ni de fanfreluches, juste le logo et la mention 14K. La plume est une vraie M, très légèrement plus fine qu’une M européenne, un peu plus large que la M du Pilot Custom 74. Alimention standard, dans la moyenne, pas plus. La plume, sans être souple, est plus mœlleuse que la F, ce qui la rend très confortable, un peu amortie. La sensation est un peu différente d’une plume archi-douce courante : ici, la plume colle davantage au papier, comme si on écrivait avec une plume très très légèrement abrasive, un presque rien mais qu’on sent bien, ce qui n’enlève rien à l’impression de douceur de la plume qui se mène parfaitement et précisément. Ce que les anglo-saxons appellent du « feedback », du retour. C’est infime, mais extrêmement agréable. En regardant la plume à la loupe, on voit bien que cette plume ronde a cependant des bords un peu plus nets que d'autres, ce qui donne le toucher dont je parle en la rendant également un peu plus sensible à la manière dont on la tient. C’est vraiment une plume attachante, qui se contrôle naturellement, plus facile d'usage que la F. Je ne sais pas si une M actuelle possède le même caractère, quelqu’un nous en dira peut-être davantage.
Le vert est encré en Syo-ro vert bleu, mon encre de prédilection. Quelque chose d’un peu plus vert collerait certainement un peu mieux, mais l’encre va bien. Elle doit également élargir très légèrement le trait.
Aurora fabrique ses plumes selon les modèles en 14 et 18 carats. Ces deux-là, montées sur des modèles standard, sont des 14 carats. Comme sur les Pelikan, elles se vissent et sont donc très facilement interchangeables directement par l’utilisateur (pour relativiser, le coût d’une plume est tout de même assez élevé, ce qui calme rapidement les envies de changement). Elles sont disponibles dans une foultitude de tailles et de largeurs, de l’extra-fine aux italiques diverses en passant par les obliques : qui dit mieux ?
Enfin, dernière chose qui ravira les connaisseurs, le feed de belle facture est en ébonite, ce qu’on remarque immédiatement.
Une comparaison de tailles avec un Pelikan M800 et un Sailor 1911, stylos courants qui jouent dans la même division. J'ai été très surpris par la photo : sans capuchon, j'avais pourtant longuement tenu les stylos, comparé, écrit avec les autres que j'utilise depuis des années, j'aurais juré que l'Optima sans capuchon était beaucoup plus court : sensation totalement subjective dûe à sa forme très différente, on le voit bien sur la seconde photo. C'est en réalité fermé qu'il est plus court, c'est à cause de cela que l'impression de stylo trapu et plus court persiste. Etonnant comme nos sens peuvent nous tromper, comment un détail modifie la perception.



Afin de diminuer les coûts, Aurora partage les pièces, section, piston, plumes... entre différents modèles, comme le 88, à propos duquel on lit parfois - méfiance toujours avec l’internet - que les plumes sont plus adoucies que sur l’Optima (il y a un fil consacré à l’Aurora dans lequel on effleure le sujet, il semble que ce soit le cas).
Se termine à présent la revue de cet excellent stylo qui est aussi un des plus beaux stylos modernes que j’utilise. Mon idée de ce qu’est un classique moderne, disais-je ailleurs. Un instrument fait pour écrire plus que pour briller sans rien perdre de sa séduction. Ca doit être aussi ça, le style. Ca valait le coup de les avoir attendus des années, n’est-ce pas, mes beaux Italiens qui m’ont permis un moment de sortir de l’austérité des stylos noirs et des ébonites guillochées !
Les photos du vert sont celles, excellentes, du vendeur, publiées avec son accord. J’ai préféré laisser toutes les photos en grand format pour bien voir le détail.
Copier-coller : commentaires, additions, corrections welcome pour ceux qui ont eu le courage d’arriver jusqu’ici.
Jimmy
Juillet 2014, > la revue de deux autres Optima, Nero Perla gris et 75e anniversaire rouge. >
Juillet 2016, > Optima 365 brun et Carlo Goldoni argent massif. >
Un peu de lecture pour terminer.
Le site de la marque.
Le site de Simon sur l’histoire des stylos italiens. Ne vous laissez pas décourager par la langue, c'est une mine.
De magnifiques Aurora anciens.
D’autres Optima anciens. Wow.
On trouvera facilement des photos d'autres Aurora anciens en cherchant un peu.
Les 88 anciens de Loositen
Une visite à l'usine Aurora
Une vidéo sur la fabrication des Aurora