Avertissement préliminaire : si vous ne vous sentez pas le courage de lire jusqu’au bout le long bavardage qui suit, vous vous épargnerez avantageusement du temps et de la peine en lisant le résumé : l’Aurora Optima, c’est vachement bien, c’est joli avec de super plumes et j’adore écrire avec. Il n’y a plus qu’à regarder les photos.
J’ai longtemps tourné autour du Carlo Goldoni fabriqué à l’occasion du bicentenaire de l’auteur italien et du coup édité à 1793 exemplaires. Il avait été précédé un an auparavant, l’année de sortie de l’Optima, par le Christophe Colomb (1492-1992) à qui il ressemble et suivi ensuite par une palanquée d’éditions limitées. Au vu de l’imagination débordante des marketeux, on devrait logiquement voir arriver en 2025 une édition limitée Zig et Puce. Ne vous fatiguez pas, ceci est une vanne que seuls les vieux peuvent comprendre. Je n’ai pas fait de photos de la boîboîte d’origine en forme de petit théâtre, elle se cache quelque part dans un foutoir dans lequel je préfère ne pas plonger, je n’aurais pas assez d’air dans les bouteilles pour en ressortir vivant, j’ai toute confiance dans votre belle maîtrise de Google si vous avez vraiment envie de voir à quoi elle ressemble.

Le Goldoni est un stylo très classique en argent adouci par les reflets moirés du délicat décor guilloché « Venezia ». La bague de capuchon en plaqué or est celle de la première version de l’Optima cerclée de deux filets noirs qui accentuent discrètement le léger ventre du stylo et font écho à ses extrémités tronquées noires, la frise grecque des origines étant remplacée ici par des masques de commedia dell’arte accompagnés des gravures « Italia » et « 1707 - 1793 ». Le numéro dans l’édition et le titre d’argent sont gravés sur un cartouche du capuchon. Le stylo reprend tous les éléments de l’Optima, clip à boule, fenêtre d’encre, réserve d’encre, extrémités tronquées noires, la principale différence visuelle avec les Optima plus récents étant la longue section cylindrique remplacée un peu plus tard par une section plus conique.

Le poids du stylo est contenu pour un stylo métallique : 33,5 g avec capuchon, 20,5 sans, ce qui en fait un stylo confortable pour ceux qui, comme moi, ne jurent que par les stylos légers et détestent écrire avec des stylos lourds. C’est bien entendu plus lourd que les Optima poids plume courants en plastique, pardon, en Auroloide, mais le stylo étant parfaitement équilibré, il est agréable à l’usage.

Un des agréments du Goldoni est sa plume, ici une fine en or 18 carats avec le motif gravé de volutes toujours utilisé aujourd’hui. Ce qui la différencie d’abord des autres plumes Aurora, qu’elles soient d’époque ou contemporaines, est sa géométrie différente à longs becs qui lui confère une belle souplesse. Cette longue plume effilée participe du plaisir visuel d’écrire, c’est grâce à son dessin une plume impressionnante de moelleux, de souplesse, de douceur et de précision. Elle n’a rien d’une plume flexible, elle est moins mordante, moins typée peut-être que d’autres, on pourrait presque dire plus molle (l’effet 18 K aussi ?), nul besoin d’appuyer, mais à l’usage, associée à la romantique Iroshizuku violette Murasaki Shikibu parfaite dans ce stylo, avec une alimentation régulière comme toujours chez Aurora et un débit d’encre généreusement réglé (en passant, le feed est en ébonite chez Aurora), elle offre un plaisir d’écriture comme j’en ai peu rencontré : minuscule jouissance de voir couler l’encre et les mots se former sous la pointe. Une plume voluptueuse qui sait donner des coups de griffe à l’occasion (j’espère que ses laborieux efforts de lyrisme vaudront à l’auteur de ces lignes une nomination au Grand Prix du Lieu Commun). Si son toucher est différent du toucher habituel assez caractéristique des plumes de la marque, on ressent pourtant une sensation de continuité quand on passe de cette plume Aurora à une autre. Le bloc-plume est bien entendu instantanément dévissable et interchangeable avec n’importe quel bloc actuel, la plume elle-même est aisément dissociable du feed, ce qui permet un nettoyage très facile du stylo.


Longue plume fine, douce, moelleuse et précise avec un très léger retour, jolie à regarder, au débit généreux et régulièrement alimentée : une des recettes de la réussite d’une plume fine ?
Pour justement mériter le Prix du Lieu Commun décerné par la Société des Amis de Mirliton-Pon-Pon, et parce qu’un stylo à plume, c’est surtout du cinéma, Goldoni et Murasaki Shikibu : écrire la nuit devant la grande fenêtre, regardant la pleine lune passer sous les arbres du jardin, écoutant les échos de musiques et de voluptés dans des chambres lointaines, attendant, un livre et un verre à portée de la main.
comme est magnifique
par un trou dans la cloison
la Voie lactée
Issa, qui n’avait pas besoin d’un Goldoni, lui. Et qui faisait plus court




Parmi les stylos bruns, j’ai toujours aimé le premier modèle d’Omas Arco en celluloid. L’Optima 365 brun (il existe aujourd’hui un autre 365 bleu-vert moins réussi à mon goût, l’Abissi) m’avait immédiatement tapé dans l’œil lors de sa sortie l’année passée. Je ne dois pas être le seul, le stylo a vite disparu des étals. C’est un Optima courant, bague de capuchon originelle à deux bandes noires et frise grecque, justification du tirage (365 exemplaires) gravée en doré sur l’extrémité noire du capuchon et plume 18 carats à la place de la 14 carats des modèles courants. Le plastique - l’Auroloide, pardon, je ne m’y ferai jamais - est vraiment joli, l’association noir / brun à petits éclats / attributs dorés finement décorés donne ici aussi une très jolie impression de délicatesse de l’ensemble, c’est peut-être le plus délicat et le plus élégant des modèles courants. Il me semble avoir déjà vu ailleurs ce beau brun acrylique à petits éclats de noir et de bruns à profonds reflets de nacre changeants sur d’autres stylos, je pense à certains Conway-Stewart par exemple. J’aime toujours autant la gravure à l’ancienne sur le corps, plus joliment réalisée que les gravures au laser de certaines marques. Tenue en main, agrément d’écriture, c’est un Optima : assez gros sans montrer les muscles, loooongue section très confortable, légèreté, équilibre parfait avec ou sans capuchon, agrément du piston très doux comme sur tous les Aurora, fenêtre et réserve d’encre, qualité de fabrication, finition exemplaire, régularité de l’alimentation. Il semble de plus y avoir peu de problèmes de SAV avec les Aurora. Je ne peux même pas faire de mauvais esprit sur la boîboîte, la surboîboîte et la littérature perlinpinpin qu’elles contiendraient, ils n’ont fait aucun effort particulier de ce côté, on leur en voudrait presque de ne pas pouvoir se défouler.



La plume est ici une 18 K. J’aurais bien pris une B pour changer des F et de la M que j’affectionne particulièrement (rappelons la belle palette des plumes de fabrication maison chez Aurora qui va de la EF à l’oblique italique) mais il n’y en avait pas de disponible en 18 K chez l’incomparable vendeur parisien. Moyenne pas très large comme à l’accoutumée chez Aurora, elle est comme toutes les plumes de la marque assez rigide sans que cela ne donne d’impression de dureté. Minuscule détail esthétique, le feed en ébonite est brun pour s’accorder avec le corps.

Ce très classique 365 a un charme fou, une touche feutrée d’un autre temps, on l’imagine ouvert sur la table d’une calme pièce de travail, environné de livres. Il va à coup sûr devenir un des préférés de son Papa (hop !) mais quand même, se faire avoir une fois de plus par la couleur et les reflets d’un bout de plastique… Comment qu’y disaient déjà, le fétichisme ne passera pas ?

Notes rapides sur plusieurs plumes Aurora F et M montées sur des Optima - le 88 dispose des mêmes - qui sont comme chacun le sait moins larges que les standards européens. En se rappelant bien sûr qu’une plume n’est pas seule mais partie d’un ensemble, alimentation, encre…
- M 14 carats dorée des débuts, environ 1992 : la Reine. Un M avec un tout petit peu, juste une goutte de souplesse, de mœlleux plutôt, un peu plus large que d’autres. Sobre marquage triangulaire de la marque. L’accroche : du velours, alimentation parfaite, subtilité du toucher, régal à guider : un délice absolu, c’est la plume qui m’a rendu amoureux de la marque, celle avec laquelle j’ai immédiatement l’impression de retrouver mon écriture, celle qui participe à l’équilibre parfait de tous les éléments de l’Optima. L’Iroshizuku Syo Ro s’étale et prend ses aises avec elle, la couleur éclate. Une perfection.
- M 14 carats rhodiée de 2014 : beaucoup plus rêche, fait un bruit d’enfer scrich scrach sur le papier, l’accroche façon toile émeri très fine gomme la relative rigidité, j’aime beaucoup aussi. Aurora noire ou Take Sumi.
- M 18 carats dorée de 1994 : agréable, un peu moins de retour que les autres, un peu moins de caractère d’entrée, ne provoque pas immédiatement le sourire béat, aaaahhaaahhh, des autres mais très plaisante également au final.
- F 18 carats à longs becs, 1993 : c’est celle du Goldoni décrite ci-dessus, différente des cousines tout en partageant l’air de famille. Iroshizuku violette inside, sur le papier : ssssss. Ou chhhhhh, peut-être ?
- F 14 carats rhodiée, 2011 : rigide, incisive, elle donne l’impression d’être un peu plus dure que les autres, il me faut toujours un peu de temps pour m’y réhabituer mais une fois lancé, c’est une plume nette et précise. Kiri Same flottante puis maintenant Asa Gao pour aller avec le stylo. J’ai souvent pensé que visuellement, l’aspect d’acier d’une plume rhodiée induit inconsciemment l’idée d’une plume plus rigide et plus tranchante.
- M 18 carats dorée, 2015, la petite dernière : assez rigide encore, un peu moins de grat’ grat’ que les autres M entre autres parce qu’elle est moins large et que ça se sent moins, nette et précise, elle se comporte plutôt comme la F précédente avec davantage de mœlleux, un peu moins de mordant. Bien mise en valeur par l’Iroshizuku Belle de jour (une Iroshizuku une fois de plus) qui va aussi très bien avec le brun du stylo.
Cela écrit, si les Iroshizuku et Aurora fluides et lubrifiées vont bien à ces stylos, d’autres encres font ressortir des traits différents des plumes et procurent de minuscules sensations d’écriture différentes, les plus aqueuses Herbin par exemple. Ces plumes sont bien sûr parfaites sur des vélins et papiers lisses.
L’air de famille de toutes ces plumes est étonnant, on retrouve tout de suite ses marques en passant de l’une à l’autre.
Déjà dit vingt fois, l’Optima est pour moi le stylo parfait, celui qui me tombe le mieux en main, celui avec lequel je retrouve mon écriture, avec lequel je suis chez moi, celui qui m’a (presque, je viens de rechuter, Docteur) guéri des acquisitions maladives, le stylo de l’équilibre quasi-parfait. J’ai quelques petites réserves sur le prix à mon sens un peu trop élevé des 88 et Optima neufs, peut-être que ce qui m’agace prodigieusement est le fait ridicule d’avoir maintenant six Optima à nourrir. Mais c’est fini maintenant, croix de bois…

Jimmy
Rappel des essais précédents d'Optima :
Optima vert et Optima bleu
Optima rouge et Optima gris
