Je vous présente aujourd'hui un King of Pens très original, le Kurenai.
La nature a toujours très largement inspiré les artistes qui ont décoré les objets laqués Japonais. Mais à la différence de l'approche traditionnelle très figurative de l'art du maki-e, l'artiste qui a décoré ce stylo a adopté un style résolument moderne.
En effet, en 2012, quand Sailor a confié à Wataru Kurotobi, la réalisation de deux séries limitées sur le thème des couleurs changeantes de l'aube et du crépuscule, celui-ci, après avoir longuement observé ces instants dans la nature, a décidé de les restituer sous forme abstraite, en s'attachant plus à l'impression de ces couleurs changeantes qu'au réalisme du sujet.
Ainsi sont nées deux séries limitées qui sont probablement les premiers stylos laqués maki-e "impressionnistes" :
- fin 2012, le King of Pens Kurenai (ou cramoisi), sur le thème du crépuscule en forêt,
- et début 2013 le King of Pens Kai (ou coquillage), sur le thème de l'aube sur l'océan.
A la différence des autres KOP, le Kurenai n'est pas livré dans une grosse boite vernie mais dans une boite traditionnelle en bois de paulownia brut, trop plate pour contenir l'habituel flacon d'encre Sailor.
Mais à défaut d'encre, on a droit à un joli petit kimono pour protéger son stylo.
Outre le chiffon réglementaire Sailor, une carte de garantie numérotée, une plaquette sur la série Kurenai et une présentation de l'artiste Wataru Kurotobi.

La série limitée Kurenai a été fabriquée en 33 exemplaires seulement, dont vous voyez ici l'exemplaire N°23 :

Ce Kurenai est laqué sur la base d'un KOP en ébonite. Le KOP, ou King of Pens, est le plus grand modèle de la gamme de stylos plume de Sailor, reconnaissable à sa silhouette sobre et fuselée. Les dimensions sont confortables, tout en restant raisonnables pour une utilisation courante : 132 mm de long sans le capuchon et 154 mm avec.
Kurenai, prononcez "kourenaï", que l'on écrit avec le kanji 紅 inscrit sur la boite, veut dire quelque chose comme une couleur rouge foncé, pourpre ou cramoisie :

Imaginez : c'est le crépuscule sur une forêt côtière. Le ciel s'embrase tandis que la forêt s'assombrit. Les derniers rayons de soleil s'insinuent entre les arbres et font scintiller quelques feuilles.

L'artiste Wataru Kurotobi, originaire de Kyoto, a réalisé sur ce thème un décor où les couleurs se fondent en de subtils dégradés autour d'une trame représentant les branchages, et où quelques éclats de nacre scintillent ici ou là.

Pour ce faire il a utilisé la technique Raden consistant à inclure des morceaux de nacre d'ormeau soigneusement découpés et polis dans la laque, ainsi que la technique Kawari-nuri, une technique de laquage urushi que l'on rencontre très rarement.

La technique Kawari-nuri remonte à la période Tokugawa de l'histoire Japonaise (1603 - 1868). Au cours de cette période, les samurai prirent l'habitude de faire décorer les fourreaux de leurs sabres de motifs appelés Saya nuri. A la fin du 19ième siècle, après l'interdiction de porter des sabres en public, la technique a été appliquée par les artisans à d'autres objets usuels et s'est ainsi perpétuée, sous l'appellation moderne de Kawari nuri.
Cette technique complexe qui consiste à combiner plusieurs couleurs de laque lors des opérations de laquage permet de créer des trames ou des structures sur l'objet ou d'obtenir de subtils dégradé.

On note que la trame représentant l'enchevêtrement des branchages est réalisée en léger bas relief, ce qui ajoute à l'effet visuel une sensation tactile au stylo. Mais ce qui me fascine le plus sur ce Kurenai, c'est le dégradé parfait du rouge au brun au bas du corps du stylo


On note ci-dessus une des difficultés imposées à l'artiste par la construction du KOP : le capuchon comportant une pièce rapportée vissée au dessus de l'agrafe. A l'œil nu c'est très bien, mais si on observe à la loupe on voit qu'il est extrêmement difficile, voire impossible d'assurer la parfaite continuité du décor et de masquer la jonction entre les pièces. On regrette alors que Sailor n'utilise pas sur ses KOP, à l'instar de Namiki par exemple des capuchons monoblocs.

La plume est bien entendu la plume "King size" en or 21K qui équipe traditionnellement les KOP : 26 mm de long pour ce qui dépasse de la section. Ici une M.
Son débit est impossible à prendre en défaut, grâce au conduit à "triple rail" (particularité également des plumes 1911 de Sailor) qui assure une alimentation parfaite.
La plume est juteuse, mais néanmoins un peu moins que les big size de chez Namiki. La plume est moins fluide sur le papier, mais plus sonore (certains diraient qu'elle chante), et procure peut-être plus de sensations. C'est vraiment une question de goût.
Deuxième petit point faible du stylo, partagé par tous les KOP : le convertisseur. C'est le même que celui qui équipe les 1911, donc de capacité assez limitée. On aurait aimé que Sailor conçoive pour son KOP un "King of Converters" spécialement étudié pour le gabarit du modèle, et donc de meilleure contenance.
En revanche, dans le capuchon du KOP il y a un petit détail qui fait la différence :

Cette drôle de rondelle tronconique en plastique mou fait ventouse quand on poste le capuchon à l'arrière du stylo : cela permet à la fois de protéger la laque et de maintenir fermement le capuchon en place. Beaucoup mieux que ce que proposent les autres fabricants de stylos laqués.
En conclusion, un magnifique stylo original, sensuel, à la couleur indéfinissable, très attachant et qui est l'un de mes préférés.

Et en bonus, la traditionnelle petite vidéo du Kurenai.
