PILOT MYU 701 CONTRE PILOT M90
LA QUERELLE DES... MODERNES ET DES MODERNES!
Un pays asiatique surpeuplé, une croissance économique insolente dépassant largement les 10% par an depuis longtemps, une capitale futuriste où les immeubles démesurés sortent de terre à un rythme effréné, des mégalopoles reliées par des lignes de trains à grande-vitesses high-tech, une industrie manufacturière puissamment exportatrice et conquérante, des occidentaux évoquant « un péril jaune », bienvenue dans…le Japon de 1970 !

Shinkansen série zéro Kodoma R67, vitesse en service 220 KM/H (Kawasaki Heavy Industries,Hitachi Rail, Nippon Sharyo)

A l’étranger, les créations industrielles nippones suscitent une certaine méfiance mêlée de jalousie face à une réussite aussi rapide et on les qualifie trop souvent de plagiats à bas coût…
Et pourtant, loin de n’être que de vils copies, les produits japonais se situent à la pointe de la modernité, surpassant les inspirateurs occidentaux, que l’on songe à la toute première montre à quartz du monde, la Seiko Astron, sortie pour les fêtes de fin d’année 1969 et qui a failli ensevelir toute l’industrie horlogère occidentale, Suisse comprise.

Ou encore la célèbre motocyclette Honda CB 750 Four, offrant pour un prix très compétitif, des spécificités inconnues ailleurs, comme un 4 cylindres à arbre cames en tête, un démarreur électrique, un frein à disque avant (bien qu’on trouve la même chose chez l’italien MV AGUSTA, mais à quel prix…), sans même évoquer la fiabilité très supérieure de la nippone.

La glorieuse industrie britannique ne s’en relèvera pas, victime de son conservatisme et du manque de rigueur de fabrication de ses productions…Dans le domaine optique et photographique, du statut d’outsider, les japonais accèdent rapidement au sommet , ravalant au rang de « has-been » des allemands trop confiants en leur nom et en la supposée supériorité de leurs produits, sans même évoquer le coût global des optiques (combien de « carreaux » Nikkor, par exemple, pour le prix d’un seul chez Leitz, la collection complète peut-être…)

Nissan commercialise sous le nom de Datsun Fairlady Z une très moderne voiture de sport, égalant les produits européens pour une fraction de leur prix de vente…

En cette fin avril 1970, l’air de Tokyo daigne se réchauffer un peu, après un printemps extrêmement pluvieux. Il est 22H15, dans le quartier « bohême » et tendance de Meguro, un homme de petite taille se dirige d’un pas alerte vers son « Ramen » (snack) préféré, après une longue journée de travail. Arrivé à destination, il s’empresse de passer commande de ses nouilles habituelles, la variété « Hamayaki » , riche en produits de la mer, le tout accompagné d’une bière Sapporo glacée.
Son bol fume devant lui, mais notre homme n’y prête pas attention, tout occupé qu’il est à déballer fébrilement un petit paquet en provenance de l’autre côté du Pacifique. L’écrin s’ouvre sur le plus moderne des instruments d’écriture jamais conçu, le révolutionnaire Parker T1, mieux connu sous le nom de space-pen, car il rend un vibrant hommage au programme Apollo et aux premiers pas de l’homme sur la lune.

Ito San, notre homme, pousse un soupir de résignation. Ingénieur-designer chez Pilot, co-auteur du Capless de 1964 et du Silver de 1968 doit se rendre à l’évidence. Malgré les progrès foudroyants du Japon, devenu en 1968 la 2ème puissance économique mondiale, ces diables de « Yankees » demeurent loins devant en matière d’instrument d’écriture. Ito San n’a pas eu la patience d’attendre pour obtenir le Parker T1 par voie hiérarchique (l’entreprise achète systématiquement toute nouveauté intéressante de la concurrence), il a commandé le sien directement chez un « dealer » de San-Francisco de ses connaissances.
Pilot pen Co, déjà solidement installé à la première place du marché local se développe rapidement chez les voisins (Corée du sud, Taiwan, Singapour) et sur les marchés un peu plus lointains tels que l’Australie et les Etats-Unis mais fait figure de « petit » comparé aux géants occidentaux, qui, à cette époque, se partagent le marché mondial. Certes, le Capless suscite une certaine curiosité en occident, certes les esthètes du monde entier s’arrachent les Namiki et Dunhill-Namiki depuis les années 20, mais Pilot demeure confidentiel en dehors de sa zone géographique d’origine.



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D’où l’idée d’Ito San de proposer un produit différent et futuriste, un peu comme ce satané Parker T1 qu’il palpe et examine sous toutes les coutures .Notre ingénieur admire tout particulièrement certains modèles américains des années 40 à 60, en particulier les Parker 51, Sheaffer Crest et PFM qui représentent, à ses yeux, la quintessence de la technologie stylographique.
Pour sa précédente création marquante, le Capless, sorti l’année des JO de Tokyo, en 1964, il s’était inspiré de deux ténors européens d’avant-guerre :l’Aurora Astérope et le français Météore Pullman de la Plume D’Or Météore , deux safety sans capuchons !
Pilot Capless 1964:


Pas de doutes, le T1 impressionne notre ingénieur, à la fois d’un point de vue conceptuel et au niveau de sa fabrication. Ce profil épuré, cette plume englobant la section, cette finesse et surtout cette fabrication en titane (une première pour un instrument d’écriture) suscitent sa profonde admiration.
Une fois de plus, Parker a osé, fort de son professeur Nimbus, Don Dorman, auteur, outre du T1 du Parker 75 à plume rotative et à section ergonomique, du Parker 45, de la cartouche Parker de 1959 (toujours en usage) et du système de chargement à capillarité du Parker 61, excusez du peu…Ultime raffinement, le Parker T1 possède une petite molette permettant d’élargir ou de diminuer, à volonté l’épaisseur du trait et de passer d’une écriture moyenne à une écriture large(sur la version moyenne-large) et du fin au moyen (sur la version fine-moyenne.)
PARKER T1 1970:


Ito San s’en retourne chez lui quelque peu dépité par la créativité de Don Dorman et de son équipe mais néanmoins excité par cet objet inédit et il fourbit déjà mentalement la riposte à venir…
Dès le lendemain, il soumet sa réflexion et le Parker T1 à sa hiérarchie et à ses collègues qui approuvent immédiatement ses vues. Pilot va se lancer dans la création d’un concurrent. Dès le début du mois de mai 1970, Ito San forme autour de lui une petite équipe ultra motivée et bientôt surmenée, car il s’agit de défendre au plus vite l’honneur de la mère-patrie. Avant la fin de l’été 1970, un premier prototype est ébauché. A première vue, il ressemble comme deux gouttes d’eau au T1, à deux exceptions près :le titane a cédé sa place à un acier utilisé en chirurgie, tout aussi résistant, mais infiniment plus facile à travailler et la fragile molette de réglage de la largeur d’écriture a disparu. Les attributs dorés du T1 n’existent pas sur ce prototype et l’esthétique s’avère plus harmonieuse que sur l’inspirateur d’outre-Atlantique. Ce prototype utilise la nouvelle cartouche Pilot et un conduit exclusif, lui conférant une fiabilité et une régularité hors-normes. La création de ce modèle unique a posé quelques difficultés eu égard à sa configuration particulière et à sa technologie de pointe.
D’autres prototypes sont finalisés à l’automne 1970 et présentés à la direction générale, ils reçoivent un feu-vert enthousiaste pour une prochaine commercialisation qui doit intervenir au début de l’année civile suivante (soit le 1 er avril 1971 au Japon ), juste un an après la sortie du Parker T1 !
La fabrication de l’outillage (réalisée en interne comme toujours chez Pilot) et la maîtrise du process de fabrication complexe engendreront plusieurs semaines de retard sur le planning initial.
Reste à trouver un nom de baptême commercial au petit dernier , connu sous le nom de projet 701 au bureau d’études. Le Parker T1 s’inspirait de la conquête spatiale américaine ? Le nouveau venu fera de même en reprenant le nom du lanceur nippon MU (eh oui, le Japon appartient au club très fermé des puissances spatiales depuis la fin des années 60 !) avec la petite MU1 de 1966 et les plus conséquentes MU3D de 1969 et MU 4S de 1970 !

Le Myu 701 apparaît à la fin de l’été 1971, en petites quantités et uniquement à destination du marché intérieur, à un prix relativement élevé. Bizarrement, il ne rencontrera jamais son rival désigné, l’interstellaire Parker T1.
La carrière du petit dernier de la firme de Janesville a tourné au désastre absolu dû à un tarif élevé mais surtout au travail du titane, métal si dur qu’il détruit les outillages Parker en quelques semaines, nécessitant leur remplacement constant ralentissant considérablement la production et laminant la rentabilité de l’entreprise. En un peu moins d’un an d’existence, le T1, n’aura été produit qu’à un peu plus de 110000 exemplaires, là où les 51 et 75 dépassaient le million d’unités durant le même laps de temps…Cet apocalypse, dû à une technologie trop avancée et non maîtrisée va porter un coup de frein définitif aux velléités « high-tech » de Parker-pen.
Du côté de Pilot, le Myu pose moins de problèmes, malgré un accueil tiède(car aussi coûteux que les concurrents à plume or, ou presque) et un process de production quelque peu « alambiqué ! »
PILOT MYU 701:


Le Myu se muera plus tard en Murex, plus conservateur de ligne mais au succès toujours aussi mitigé.
PILOT MUREX 1978:

La dynastie Myu/Murex disparaîtra définitivement en 1985, avec, en guise d’épilogue (triste), la destruction des outillages…
Mais tel le phénix, ce surdoué discret est revenu parmi nous (trop) brièvement, le temps d’un clin d’œil…Pour fêter ses 90 ans d’existence, en 2008/2009,Pilot pen co décide de la mise en production d’un descendant, le M90 , tiré en série pas trop limitée de 9000 exemplaires, dont une majorité à destination de l’archipel.
PILOT M90 2009:


Qui remportera ce match fratricide ?
CONCEPTION/REALISATION :
Fins, zens, épurés, les Myu, malgré l’inspiration américaine transpirent la culture nippone.

Même s’ils se ressemblent énormément aucune pièce commune entre Myu 701 et M90, impossible d’échanger les capuchons, les pas de vis internes s’avèrent incompatibles.
Les magnifiques conduits présentent d’évidentes similitudes et les deux faux-siamois recourent aux mêmes cartouches Pilot.
Mon Myu 701 date de 1973 et mon M90, précision importante, est une version destinée au marché intérieur nippon, qui diffère sur un point, des versions export, comme nous le verrons plus-tard…
Les deux frères font preuve d’une excellente qualité de fabrication et d’une grande robustesse à l’usage. L’acier chirurgical vieillit parfaitement, malgré quelques rayures au niveau de la section.
Le design, de 40 ans d’âge n’a pas pris une ride, bien au contraire, et pourrait asséner des leçons de modernité à l’ensemble de la production mondiale actuelle. Les Myu évoquent, au choix, une aile d’avion, un bombardier furtif ou encore une fusée interstellaire en route vers Mars ! Fluides, purs, profilés, monolithiques, ils mériteraient une exposition permanente dans un musée d’art moderne.
Un bémol cependant, je n’apprécie guère le cabochon bleu du capuchon du M90, étrange ajout qui altère quelque peu la ligne originelle.
20/20 pour le Myu 701
19/20 pour le M90
PLUME/CONDUIT :

Pas besoin d’une plume en métal précieux pour offrir l’excellence en matière d’écriture, n’en déplaise aux snobs de tous poils !
L’acier utilisé et le soin apporté à la fabrication par Pilot alliés à un savoir-faire hors pair confèrent aux Myu une douceur d’écriture proprement stupéfiante. A part l’excellent Sheaffer Crest à plume conique Triumph, ( et un peu le Custom 823), aucun modèle de ma pourtant nombreuse écurie ne parvient à rivaliser efficacement.
Mais aussi impressionnant soit-il, mon Myu 701 doit s’incliner en matière de fluidité et de volupté devant son descendant surdoué, le M90.Ce dernier trône réellement au sommet de la production actuelle en la matière, pour l’anecdote, André Mora l’a classé numéro un sur sa liste de stylos préférés pour 2010…
Une petite précision cependant, ne faisant jamais rien comme les autres, je me suis évidemment procuré la version nippone du M90, plus douce de plume que la version export, ce qui lui confère un avantage décisif.
Avec les versions occidentales du M90, le match apparaitrait certainement plus équilibré !
Le magnifique conduit assure à la plume/section (elles ne font qu’une) une régularité d’écriture sans faille avec un débit plutôt généreux (petit avantage au M90 sur ce point.) On peut également utiliser le petit convertisseur Pilot Con20 qui tient tout juste dans le corps de ce bonsaï si talentueux.

Les deux Myu assurent, en tous cas, des kilomètres de plaisir sans restriction, avec même un-tout petit-soupçon de flexibilité pour le M90, un plaisir ne résidant pas dans l’exhibition (le profane confond souvent les Myu/M90 avec le Parker Jotter Flighter), mais dans la possesion d’un objet d’exception accessible.
A ce chapitre 19/20 pour le Myu 701
20/20 pour le M90
ERGONOMIE :
MYU 701:

Pour beaucoup, le point faible des Myu, mais il ne faut pas les comparer avec des modèles conventionnels. Avec eux, on perçoit mieux l’amour des japonais pour la miniaturisation, même si ça n’est pas aussi flagrant qu’avec un Pilot Birdie ou pire, avec le microscopique Sailor Chalana…
PILOT BIRDIE (ET BAMBOO RHODIUM-LE PLUS GROS DES DEUX BIEN-SUR!)

SAILOR CHALANA


Leur petit corps impose le capuchon posté, plus agréable sur le M90 que sur le Myu 701, grâce à un système de fixation effectif et efficace.
Les Myu, étroits, déconcerteront les amateurs d’instruments volumineux, en vogue actuellement. Ils raviront par contre les dames et demoiselles qui découvriront avec eux des instruments parfaitement adaptés à leurs gracieuses mains.
Les hommes devront se résigner à éprouver parfois des crampes (durant de longues séances d’écriture toutefois) en raison de l’étroitesse de la section (un peu plus large pour le M90.)Ceci dit, il s’agit de poids plumes, parfaitement équilibrés mais au toucher évidemment froid, métal oblige.
A l’utilisation, les inconvénients disparaissent presque totalement tant leurs plumes apparaissent fabuleuses.
Verdict : 9/20 pour qui apprécie les instruments de taille « standard », 14/20 pour les autres.
RAPPORT QUALITE/PRIX :
Excellent dans les deux cas. On trouve sur le web, en particulier chez Russ Stuttler, des Myu 701 à des prix très compétitifs, pas d’inflation pour ce modèle.
http://www.stutler.cc/
Le M90 valait environ 200 Euros lors de se commercialisation, un tarif ridicule, eu égard à ses multiples qualités (esthétique, technique, rareté, qualité d’écriture hors-norme, robustesse…)
On ne saurait trop conseiller à l’amateur de belle écriture de se procurer les deux, pour faire bonne mesure.
20/20 à ce chapitre pour les deux.
CONCLUSION :
Le monde de l’écriture se divise en deux catégories bien distinctes :les possesseurs de Myu/M90 et les autres.
Les premiers considèrent (c’est mon cas) ces stylos comme de véritables petites merveilles, insurpassables en qualité d’écriture, dignes de figurer dans un musée du design et néanmoins robustes et accessibles financièrement.
Les autre ignoreront les Myu ou s’en méfieront pour cause de non orthodoxie esthétique, d’absence de plume or ou de trop petite taille. Ils passeront à côté d’un des meilleurs instruments d’écriture jamais réalisé, tout simplement.
Au final, difficile de proclamer un vainqueur entre Myu 701 et M90, bien que ce dernier surpasse (de peu) son ancêtre à l’épreuve de la feuille blanche.
QUALITES :
-Splendide esthétique
-Concept d’ensemble
-Robustesse
-Qualité de fabrication
-Esprit zen
-Plume/section monobloc
-Douceur d’écriture sidérante (Myu 701) ou extraterrestre (M90 japonais)
-Légèreté
-Fiabilité absolue et durable
-Bon débit
DEFAUTS :
-Section étroite (très légèrement moins sur le M90)
-Contact froid du corps en acier
-Stylo court
-Capuchon difficile à poster (Myu 701)
-Nécessite l’emploi de cartouches Pilot ou d’une encre de qualité
-Cabochon de capuchon incongru(M90)