Le visiteur du (triste) futur
Posté : 19 mars 2014 01:31
Cela devait finir par arriver...Le futur ou plutôt, un présent d'allure déplaisante venait de me télescoper avec brutalité.
Ce petit restaurant isolé d'allure sympathique niché dans une des charmantes provinces françaises avait tout pour me plaire, un cadre bucolique, une nourriture succulente bien que simple, un personnel accueillant. Comme à l'accoutumée, certaines de mes plumes, n'écoutant que leur courage insensé, avaient eu l’intrépidité de m'accompagner dans mes pérégrinations.
Acte de rébellion contre le tout numérique, j'avais eu l'outrecuidance de jeter mon dévolu sur un mignon petit bout de carton artistiquement décoré appelé carte-postale. Je m'imaginais déjà la maculer harmonieusement de caractères cursifs comme un défi lancé face à la décision d'abolition nord-américaine...C'était sans compter avec les indélicats voisins des tables contiguës. Utilisateurs compulsifs d'engins quelque peu barbares, appelés smartphones, ils émettaient toutes sortes de signaux sonores désagréables, le pompon revenant à la tablée située juste derrière moi, lancée dans un quiz sur les musiques de films ou autres séries télévisées.
Mon vénérable mais fringant Parker 51 n'avait que faire de ces malotrus en goguette, il exigeait sa rasade de Diamine avant de procéder à son juste office. Le sentant piaffer, je décidais de lui accorder cette faveur malgré la cacophonie ambiante.
De retour à mon hôtel, je tirais un rapide bilan de cette soirée peu satisfaisante: des individus sans-gêne, incapables d'apprécier le cadre ou leur menu, triste!
Mais, en fait, le grand choc a eu lieu le lendemain, dans un train profilé comme une fusée interstellaire.Ce missile sur bogies accueillait les voyageurs avec de multiples écrans informatifs disséminés un peu partout au sein de ses wagons. Écran, le mot (et les maux) était lâché!
Une nuée d'appareils multiples officiait auprès des usagers présents à bord. Leur scintillements et rémanences multiples agressaient fortement mes délicates pupilles. En une fraction de seconde, j'avais l'impression de me plonger dans un improbable futur, un futur froid, glacé même, hyper-technologique, et agressif.
Une pénible impression sénescence aussi soudaine qu'accélérée m'étreignait, quel coup de vieux mes aïeux! J'étais le seul (ou presque) à utiliser encore le support papier pour mes lectures et mon écriture! Devant moi deux jeunes gens commentaient par de sonores onomatopées les aventures d'américains survivalistes opposés à de coriaces zombies, le tout diffusé sur leur PC portable. Ce qui ne les empêchait pas, en même temps, de twitter avec leurs smartphones et de communiquer sur Facebook avec leur tablettes, quelle impressionnante dextérité!
Un peu plus loin, une assemblée de lycéennes ou de jeunes étudiantes se livraient à une pratique puérile et égotique dénommée selfie et visiblement, extrêmement en vogue, y compris auprès d'individus pourtant plus mâtures et même très cultivés pour certains (ce qui n'exclut pas une bonne dose d'égocentrisme et une absence totale de savoir-vivre.)
Au fond on ne voyageait plus ensemble, on se déplaçait, juxtaposés, chacun dans son univers et ne prêtant plus aucune attention au paysage ou à son environnement immédiat, des autistes hype et volontaires...Et nous n'étions qu'au commencement du phénomène, imaginez la même scène, dans quelques années, avec des lunettes connectées!
Navigant, comme d'habitude, à contre courant (dans un monde dominé par le casual-wear, j'adore porter une veste de tweed et une cravate, sans aucune obligation, juste pour trancher, et j'y ajoute souvent un veston pour me singulariser encore un peu plus), j’exhibais soudainement mes deux Aurora 88, le modèle 1947 et le contemporain histoire de leur offrir un excellent velin en guise de quatre heures.Afin d'étancher leur soif, je décidais de procéder à la délicate ouverture d'un flacon d'excellente Aurora black. Je positionnais ensuite un de mes Ottantoto (celui qui évoque "la tête à" s'en prend une
) afin de procéder au ravitaillement en vol mais une étrange impression m'envahit à ce moment.
Je relevai soudainement la tête pour constater que tous les regards, hostiles, convergeaient vers ma petite personne. Ma voisine, jusqu'à présent mutique, m’apostropha en ces termes crus: "comment peut-on utiliser un machin aussi archaïque et salissant en 2014, c'est dingue!" Je tentais de lui rétorquer que le stylo-plume engendrait des plaisirs uniques et jubilatoires mais les regards désapprobateurs continuaient à peser sur votre infortuné narrateur.
Soudainement, le train se mit à accélérer brutalement, me plaquant littéralement cotre le dossier de mon fauteuil.Les jeunes gens présents devant moi se levèrent brutalement et tentèrent d''arracher les Aurora 88 de mes mains. "Tu n'est pas de notre monde, Boloss, donne nous tes trucs du Moyen-Age espèce d'anarchiste inadapté, aujourd'hui on écrit AVEC DES MACHINES!" Une lutte s'en suivit, totalement inégale puisque, l'intégralité des voyageurs se mit à me chercher querelle et à m'apostropher dans des termes fort peu courtois lorsque je fus happé soudainement par un gigantesque vortex multicolore et puis, plus rien...
Ah si, un réveil brutal dans mon lit, mon cœur battant la chamade avec une sonorité évoquant les tambours du Bronx et de nombreuses gouttes de sueur qui perlaient sur mon front.Aurais-je cauchemardé, tout cela semblait pourtant si réel!
A mes côté ma montre Orient-Star interprétait son doux staccato et un peu plus loin, sur ma commode, ma collection de plumes semblait contempler mon désarroi du moment...
La morale de cette histoire est que, dans un monde totalement numérique, il nous faut aimer encore davantage nos chers instruments d'écriture.Ils symbolisent une forme de pérennité au milieu de l’éphémère. Et lorsque tous ces engins tactiles ne seront plus que poussière, ils continueront, inlassablement à nous servir et à nous enchanter.Ils caractériseront l'homme ou la femme de goût apte à résister au diktat des moutons de Panurge, à toutes celles et à tous ceux qui désireront conserver l'émotion unique de former ses propres caractères, tout comme le noble scribe d'antan ou les calligraphes, summum des lettrés en Asie. Le stylo plume a su résister à la bille, aux rollers, aux pointes et a enterré la machine à écrire qui devait pourtant lui assurer un funeste sort.
La plume n'est pas seulement plus forte que l'épée, elle saura également se frayer sa voie dans le meilleur des mondes numérique du 21ème siècle, la fréquentation et la passion de ce forum et de tous ceux dédiés à l'écriture manuscrite en atteste éloquemment.
A défaut de grand roman, j'espère que vous aurez apprécié ma petite nouvelle du soir.
Ce petit restaurant isolé d'allure sympathique niché dans une des charmantes provinces françaises avait tout pour me plaire, un cadre bucolique, une nourriture succulente bien que simple, un personnel accueillant. Comme à l'accoutumée, certaines de mes plumes, n'écoutant que leur courage insensé, avaient eu l’intrépidité de m'accompagner dans mes pérégrinations.
Acte de rébellion contre le tout numérique, j'avais eu l'outrecuidance de jeter mon dévolu sur un mignon petit bout de carton artistiquement décoré appelé carte-postale. Je m'imaginais déjà la maculer harmonieusement de caractères cursifs comme un défi lancé face à la décision d'abolition nord-américaine...C'était sans compter avec les indélicats voisins des tables contiguës. Utilisateurs compulsifs d'engins quelque peu barbares, appelés smartphones, ils émettaient toutes sortes de signaux sonores désagréables, le pompon revenant à la tablée située juste derrière moi, lancée dans un quiz sur les musiques de films ou autres séries télévisées.
Mon vénérable mais fringant Parker 51 n'avait que faire de ces malotrus en goguette, il exigeait sa rasade de Diamine avant de procéder à son juste office. Le sentant piaffer, je décidais de lui accorder cette faveur malgré la cacophonie ambiante.
De retour à mon hôtel, je tirais un rapide bilan de cette soirée peu satisfaisante: des individus sans-gêne, incapables d'apprécier le cadre ou leur menu, triste!
Mais, en fait, le grand choc a eu lieu le lendemain, dans un train profilé comme une fusée interstellaire.Ce missile sur bogies accueillait les voyageurs avec de multiples écrans informatifs disséminés un peu partout au sein de ses wagons. Écran, le mot (et les maux) était lâché!
Une nuée d'appareils multiples officiait auprès des usagers présents à bord. Leur scintillements et rémanences multiples agressaient fortement mes délicates pupilles. En une fraction de seconde, j'avais l'impression de me plonger dans un improbable futur, un futur froid, glacé même, hyper-technologique, et agressif.
Une pénible impression sénescence aussi soudaine qu'accélérée m'étreignait, quel coup de vieux mes aïeux! J'étais le seul (ou presque) à utiliser encore le support papier pour mes lectures et mon écriture! Devant moi deux jeunes gens commentaient par de sonores onomatopées les aventures d'américains survivalistes opposés à de coriaces zombies, le tout diffusé sur leur PC portable. Ce qui ne les empêchait pas, en même temps, de twitter avec leurs smartphones et de communiquer sur Facebook avec leur tablettes, quelle impressionnante dextérité!
Un peu plus loin, une assemblée de lycéennes ou de jeunes étudiantes se livraient à une pratique puérile et égotique dénommée selfie et visiblement, extrêmement en vogue, y compris auprès d'individus pourtant plus mâtures et même très cultivés pour certains (ce qui n'exclut pas une bonne dose d'égocentrisme et une absence totale de savoir-vivre.)
Au fond on ne voyageait plus ensemble, on se déplaçait, juxtaposés, chacun dans son univers et ne prêtant plus aucune attention au paysage ou à son environnement immédiat, des autistes hype et volontaires...Et nous n'étions qu'au commencement du phénomène, imaginez la même scène, dans quelques années, avec des lunettes connectées!
Navigant, comme d'habitude, à contre courant (dans un monde dominé par le casual-wear, j'adore porter une veste de tweed et une cravate, sans aucune obligation, juste pour trancher, et j'y ajoute souvent un veston pour me singulariser encore un peu plus), j’exhibais soudainement mes deux Aurora 88, le modèle 1947 et le contemporain histoire de leur offrir un excellent velin en guise de quatre heures.Afin d'étancher leur soif, je décidais de procéder à la délicate ouverture d'un flacon d'excellente Aurora black. Je positionnais ensuite un de mes Ottantoto (celui qui évoque "la tête à" s'en prend une

Je relevai soudainement la tête pour constater que tous les regards, hostiles, convergeaient vers ma petite personne. Ma voisine, jusqu'à présent mutique, m’apostropha en ces termes crus: "comment peut-on utiliser un machin aussi archaïque et salissant en 2014, c'est dingue!" Je tentais de lui rétorquer que le stylo-plume engendrait des plaisirs uniques et jubilatoires mais les regards désapprobateurs continuaient à peser sur votre infortuné narrateur.
Soudainement, le train se mit à accélérer brutalement, me plaquant littéralement cotre le dossier de mon fauteuil.Les jeunes gens présents devant moi se levèrent brutalement et tentèrent d''arracher les Aurora 88 de mes mains. "Tu n'est pas de notre monde, Boloss, donne nous tes trucs du Moyen-Age espèce d'anarchiste inadapté, aujourd'hui on écrit AVEC DES MACHINES!" Une lutte s'en suivit, totalement inégale puisque, l'intégralité des voyageurs se mit à me chercher querelle et à m'apostropher dans des termes fort peu courtois lorsque je fus happé soudainement par un gigantesque vortex multicolore et puis, plus rien...
Ah si, un réveil brutal dans mon lit, mon cœur battant la chamade avec une sonorité évoquant les tambours du Bronx et de nombreuses gouttes de sueur qui perlaient sur mon front.Aurais-je cauchemardé, tout cela semblait pourtant si réel!
A mes côté ma montre Orient-Star interprétait son doux staccato et un peu plus loin, sur ma commode, ma collection de plumes semblait contempler mon désarroi du moment...
La morale de cette histoire est que, dans un monde totalement numérique, il nous faut aimer encore davantage nos chers instruments d'écriture.Ils symbolisent une forme de pérennité au milieu de l’éphémère. Et lorsque tous ces engins tactiles ne seront plus que poussière, ils continueront, inlassablement à nous servir et à nous enchanter.Ils caractériseront l'homme ou la femme de goût apte à résister au diktat des moutons de Panurge, à toutes celles et à tous ceux qui désireront conserver l'émotion unique de former ses propres caractères, tout comme le noble scribe d'antan ou les calligraphes, summum des lettrés en Asie. Le stylo plume a su résister à la bille, aux rollers, aux pointes et a enterré la machine à écrire qui devait pourtant lui assurer un funeste sort.
La plume n'est pas seulement plus forte que l'épée, elle saura également se frayer sa voie dans le meilleur des mondes numérique du 21ème siècle, la fréquentation et la passion de ce forum et de tous ceux dédiés à l'écriture manuscrite en atteste éloquemment.
A défaut de grand roman, j'espère que vous aurez apprécié ma petite nouvelle du soir.