Celluloïd années 30 : Waterman 92 & Waterman 94
Posté : 18 juin 2010 09:48
Houba houba. Y a des matins souriants comme ça, avec pleins de jolies choses dans la boîte aux lettres. Un très bon livre de photo, un stylo, et tiens, un autre stylo. Il pouvait pas en arriver un tous les deux jours pour que le plaisir dure un peu ? Non. Trois d’un coup. Comme personne n’a rien à cirer du bouquin de photo, on va causer, surprise ! stylos et plumes. Avertissement habituel : je ne suis pas collectionneur, ce qui suit est un article d’humeur pour faire partager un petit plaisir, accompagné de quelques éléments historiques.
Houba donc, triple houba même ! J’ai rencontré ce matin la plume de ma vie. La polygamie en ce domaine étant autorisée sans menace de suppression des allocs, je peux le dire tout haut : je suis amoureux d’une vieille dame de 80 ans. Quand je l’ai posée sur le vergé Lalo qui affectionne ce genre de plume mordante et que j’ai écrit le premier nom, toujours le même avec une nouvelle plume, rituellement, j’ai fait les yeux ronds : vingt dieux la belle plume ! C’est une bête Waterman n°2 du tout début des années 30, celle qu’on trouve par exemple sur les très communs et très appréciés modèles 52, une fine un peu large, flexible, une comme j’en ai rarement touché. Elle coule fort, ce qui serait d’habitude plutôt un cache-misère. Les mots sont toujours les mêmes : précise, sensible, incisive, moelleuse... il va falloir que j’en trouve de nouveaux pour celle-ci. On va passer au reste, il viendront plus tard. J’aurai rarement été pris de cette façon, dès le premier instant, par l’équilibre quasi-parfait d’une plume sur le papier, rarement ressenti instantanément cette sensation de minuscule plénitude que provoquent certaines plumes.
Les deux stylos, photographiés sur un bout de photo de Thierry Girard, dans « Les cinq Voies de Vassivière » (non, ce n'est pas celui arrivé ce matin).

La plume est montée sur un Waterman 92 du début des années 30 en celluloïd rouge et bronze. Une vraiment belle couleur, riche et profonde. Je ne sais pas comment Waterman l’appelait, si quelqu’un le sait, je serais curieux de l’apprendre. Je lis souvent « rouge et bronze » ou « rouge et or » : un beau rouge sombre avec des veines charbonneuses et des coulées de bronze pailleté, que Waterman n’a pas utilisé sur d’autres stylos de gamme supérieure. La marque, bien assise jusque-là sur ses belles ébonites et ses ventes confortables, commençait à se faire tailler des croupières par la concurrence qui avait commencé plus tôt qu’elle à proposer du celluloïd quand elle réagit en entrant en 1929 par la grande porte dans l’ère du plastique avec les Patrician. Le 92 était un stylo bien plus modeste que le Patrician, mais comme tous les Waterman de l’époque, c’était un stylo de qualité, très bien fabriqué, monté avec une classique plume n°2. Il est assez long, moins long cependant fermé que l’archi-connu 52, fin, à peu près du même diamètre que le 52. Pas de chichis, la forme est simple, droite, les bouts sont coupés net, la ligne s’adoucit seulement très légèrement aux deux extrémités. Le clip à boule n’est plus celui, traditionnel, des tous premiers modèles, lequel était riveté, il n’y a qu’une fine bague sur le capuchon, la dorure de ces attributs est de qualité. Sur cet exemplaire, l’empreinte est claire mais un peu faible par endroits. C’est vraiment un joli stylo sans prétention, forme simple, belle matière, belle couleur. J’ai déjà dit le plaisir d’écrire avec un long et fin stylo prolongé d’une longue plume effilée.
De la plume du 92 empli de Waterman bleu-noir, sortent les mots connus par cœur de Baricco :

Ce 92 est arrivé accompagné d’un grand frère de la même époque, un Waterman 94 du tout début des années 30 lui aussi. Celui-ci, de même longueur fermé, est un peu plus gros, la plume est une n°4 plus grande percée d’un p’tit cœur. La forme du stylo est différente de celle du 92, plus raffinée, la bague du capuchon est plus travaillée, le clip, serti haut, n’est pas non plus celui des tous premiers modèles, l’extrémité du capuchon parfaitement cylindrique se termine par une pyramide de cercles concentriques, motif typique de la période Art déco. Le levier des deux stylos n’est plus le levier Idéal traditionnel. L’empreinte de cet exemplaire est très nette. La couleur du celluloïd est parfaite, n’a pas bougé avec le temps, c’est la très belle et très connue moss agate, un mélange profond, mouvant et chatoyant de verts mousse et de plaques de bruns, de bronze saupoudré d’or, traversé de lignes noires. On a l’impression en plongeant le regard dans la couleur changeante d’entendre chanter les crapauds un soir d’été. On pense à la vieille mare de Bashô, à une marche en forêt profonde, aux prés au bord de la rivière, à la fin de l’été déjà. Mais je m’égare, ça doit être l’amour qui fait dire des c... J’ai toujours aimé la proximité des verts et des bruns, je suis comblé. La plume est elle aussi superbe, une fine semi-flexible, aiguë, sensible, très précise, aisée à mener. Elle ressemble beaucoup à une de mes préférées entre toutes, celle d’un Pelikan 101N, elle est un peu plus dure que cette dernière. Est-il besoin de répéter une fois de plus le mantra, Pelikan, Montblanc, Waterman, mon goût profond pour les plumes anciennes, pour leur diversité, chaque plume vivante, accrochant le papier, chacune différente des autres, avec sa personnalité propre, ses harmoniques, façonnée un peu plus au long des années par chaque main qui l’a apprise et qu’elle a apprise, l’attente et l’étonnement à chaque nouvelle plume ? Remplie de vert Umber qui lui va à merveille, la voix d’Elisewin à nouveau :

Le 94, fabriqué jusque vers la deuxième moitié des années 30, était à l’époque situé juste en dessous du Patrician dans la gamme Waterman. Des trois stylos contemporains, le Patrician était alors vendu 10$ quand le 94 et le 92 coûtaient respectivement 5$ et 3,50$. Pour comparaison, le premier Wahl Doric Gold seal sans plume ajustable était vendu 8,50$ à la même époque, 10$ un peu plus tard avec une plume ajustable, les Sheaffer Lifetime 8,50 à 10$, les stylos économiques du « 3rd tier » valant eux 1 à 2$. Ce qui est remarquable une fois de plus, c’est la qualité de fabrication irréprochable des stylos Waterman montés, même dans le cas des stylos économiques, avec de bonnes plumes. Ces deux-là sont simples, ils ont de belles couleurs et par-dessus tout, ils écrivent admirablement.
Un mot pour ceux qui liraient ceci sans être familiarisés avec les anciens qui leur font peut-être un peu peur ou qui sont rebutés par le côté ésotérique : bien choisis chez un vendeur de confiance, ces jolis stylos vintage sont parfaitement fiables, autant que les modernes la plupart du temps, même si certains demanderont un petit peu plus d’attention. On s’y repère très vite. On peut les emmener partout. Pas grand chose n’approche le plaisir de leurs plumes. On peut prendre grand plaisir à s’en servir sans forcément avoir d’idées d’histoire ou de collection. Et ils ne sont souvent pas très chers : alleeez, c’est l’occasion d’un peu d’aventure. Amen !
Comme il ne faut pas hésiter à signaler les vendeurs sérieux, ces deux-là viennent de chez un sympathique vendeur du grand bazar, khediri, qui propose de jolies pièces, anciennes et récentes.
Pour en terminer comme à l’accoutumée, informations et précisions complémentaires, corrections, commentaires sont évidemment bienvenus.
Jimmy
En annexe, on trouvera la liste des couleurs dans lesquels le 94 a été fabriqué, y compris les ébonites et les Persians. Ces renseignements viennent d’un très > bon article de Rob Astyk >auquel je n’ai malheureusement plus accès, j’espère que vous aurez plus de chance avec le lien, je me permets d’en copier un extrait.
In order of relative rarity within each category, the 94 models of which I know would form the following list:
Hard Rubber 94s
Gold Colored Trim
Olive Ripple
Blu-Green Ripple
Rose Ripple
Black, Silver Overlay
Black, 14Kt Trim
Black, Gold Overlay
Black, Chased
Black, Unchased
Red Ripple
Nickel or Chrome Trim
Olive Ripple
Blu-Green Ripple
Rose Ripple
Black, Chased
Black, Unchased
Red Ripple
Plastic 94s
Riveted Clip
Persian
Blue
Mahogany
Teardrop Clip
Mahogany
Steel Quartz
Moss Agate
Blue
Steel Quartz, Gold Filled Trim
Jet, Silver Overlay
Jet
Jet, Gold Overlay
Jet, 14Kt Trim
It is quite possible that there are special order and one-off variants including a Persian with a teardrop clip, as well as variants in Onyx, Emerald, Nacre and Turquoise. I haven’t seen them so, as with the possible hard rubber 94 in Cardinal, I can’t pass on their existence or lack thereof.
Houba donc, triple houba même ! J’ai rencontré ce matin la plume de ma vie. La polygamie en ce domaine étant autorisée sans menace de suppression des allocs, je peux le dire tout haut : je suis amoureux d’une vieille dame de 80 ans. Quand je l’ai posée sur le vergé Lalo qui affectionne ce genre de plume mordante et que j’ai écrit le premier nom, toujours le même avec une nouvelle plume, rituellement, j’ai fait les yeux ronds : vingt dieux la belle plume ! C’est une bête Waterman n°2 du tout début des années 30, celle qu’on trouve par exemple sur les très communs et très appréciés modèles 52, une fine un peu large, flexible, une comme j’en ai rarement touché. Elle coule fort, ce qui serait d’habitude plutôt un cache-misère. Les mots sont toujours les mêmes : précise, sensible, incisive, moelleuse... il va falloir que j’en trouve de nouveaux pour celle-ci. On va passer au reste, il viendront plus tard. J’aurai rarement été pris de cette façon, dès le premier instant, par l’équilibre quasi-parfait d’une plume sur le papier, rarement ressenti instantanément cette sensation de minuscule plénitude que provoquent certaines plumes.
Les deux stylos, photographiés sur un bout de photo de Thierry Girard, dans « Les cinq Voies de Vassivière » (non, ce n'est pas celui arrivé ce matin).

La plume est montée sur un Waterman 92 du début des années 30 en celluloïd rouge et bronze. Une vraiment belle couleur, riche et profonde. Je ne sais pas comment Waterman l’appelait, si quelqu’un le sait, je serais curieux de l’apprendre. Je lis souvent « rouge et bronze » ou « rouge et or » : un beau rouge sombre avec des veines charbonneuses et des coulées de bronze pailleté, que Waterman n’a pas utilisé sur d’autres stylos de gamme supérieure. La marque, bien assise jusque-là sur ses belles ébonites et ses ventes confortables, commençait à se faire tailler des croupières par la concurrence qui avait commencé plus tôt qu’elle à proposer du celluloïd quand elle réagit en entrant en 1929 par la grande porte dans l’ère du plastique avec les Patrician. Le 92 était un stylo bien plus modeste que le Patrician, mais comme tous les Waterman de l’époque, c’était un stylo de qualité, très bien fabriqué, monté avec une classique plume n°2. Il est assez long, moins long cependant fermé que l’archi-connu 52, fin, à peu près du même diamètre que le 52. Pas de chichis, la forme est simple, droite, les bouts sont coupés net, la ligne s’adoucit seulement très légèrement aux deux extrémités. Le clip à boule n’est plus celui, traditionnel, des tous premiers modèles, lequel était riveté, il n’y a qu’une fine bague sur le capuchon, la dorure de ces attributs est de qualité. Sur cet exemplaire, l’empreinte est claire mais un peu faible par endroits. C’est vraiment un joli stylo sans prétention, forme simple, belle matière, belle couleur. J’ai déjà dit le plaisir d’écrire avec un long et fin stylo prolongé d’une longue plume effilée.
De la plume du 92 empli de Waterman bleu-noir, sortent les mots connus par cœur de Baricco :

Ce 92 est arrivé accompagné d’un grand frère de la même époque, un Waterman 94 du tout début des années 30 lui aussi. Celui-ci, de même longueur fermé, est un peu plus gros, la plume est une n°4 plus grande percée d’un p’tit cœur. La forme du stylo est différente de celle du 92, plus raffinée, la bague du capuchon est plus travaillée, le clip, serti haut, n’est pas non plus celui des tous premiers modèles, l’extrémité du capuchon parfaitement cylindrique se termine par une pyramide de cercles concentriques, motif typique de la période Art déco. Le levier des deux stylos n’est plus le levier Idéal traditionnel. L’empreinte de cet exemplaire est très nette. La couleur du celluloïd est parfaite, n’a pas bougé avec le temps, c’est la très belle et très connue moss agate, un mélange profond, mouvant et chatoyant de verts mousse et de plaques de bruns, de bronze saupoudré d’or, traversé de lignes noires. On a l’impression en plongeant le regard dans la couleur changeante d’entendre chanter les crapauds un soir d’été. On pense à la vieille mare de Bashô, à une marche en forêt profonde, aux prés au bord de la rivière, à la fin de l’été déjà. Mais je m’égare, ça doit être l’amour qui fait dire des c... J’ai toujours aimé la proximité des verts et des bruns, je suis comblé. La plume est elle aussi superbe, une fine semi-flexible, aiguë, sensible, très précise, aisée à mener. Elle ressemble beaucoup à une de mes préférées entre toutes, celle d’un Pelikan 101N, elle est un peu plus dure que cette dernière. Est-il besoin de répéter une fois de plus le mantra, Pelikan, Montblanc, Waterman, mon goût profond pour les plumes anciennes, pour leur diversité, chaque plume vivante, accrochant le papier, chacune différente des autres, avec sa personnalité propre, ses harmoniques, façonnée un peu plus au long des années par chaque main qui l’a apprise et qu’elle a apprise, l’attente et l’étonnement à chaque nouvelle plume ? Remplie de vert Umber qui lui va à merveille, la voix d’Elisewin à nouveau :

Le 94, fabriqué jusque vers la deuxième moitié des années 30, était à l’époque situé juste en dessous du Patrician dans la gamme Waterman. Des trois stylos contemporains, le Patrician était alors vendu 10$ quand le 94 et le 92 coûtaient respectivement 5$ et 3,50$. Pour comparaison, le premier Wahl Doric Gold seal sans plume ajustable était vendu 8,50$ à la même époque, 10$ un peu plus tard avec une plume ajustable, les Sheaffer Lifetime 8,50 à 10$, les stylos économiques du « 3rd tier » valant eux 1 à 2$. Ce qui est remarquable une fois de plus, c’est la qualité de fabrication irréprochable des stylos Waterman montés, même dans le cas des stylos économiques, avec de bonnes plumes. Ces deux-là sont simples, ils ont de belles couleurs et par-dessus tout, ils écrivent admirablement.
Un mot pour ceux qui liraient ceci sans être familiarisés avec les anciens qui leur font peut-être un peu peur ou qui sont rebutés par le côté ésotérique : bien choisis chez un vendeur de confiance, ces jolis stylos vintage sont parfaitement fiables, autant que les modernes la plupart du temps, même si certains demanderont un petit peu plus d’attention. On s’y repère très vite. On peut les emmener partout. Pas grand chose n’approche le plaisir de leurs plumes. On peut prendre grand plaisir à s’en servir sans forcément avoir d’idées d’histoire ou de collection. Et ils ne sont souvent pas très chers : alleeez, c’est l’occasion d’un peu d’aventure. Amen !

Comme il ne faut pas hésiter à signaler les vendeurs sérieux, ces deux-là viennent de chez un sympathique vendeur du grand bazar, khediri, qui propose de jolies pièces, anciennes et récentes.
Pour en terminer comme à l’accoutumée, informations et précisions complémentaires, corrections, commentaires sont évidemment bienvenus.
Jimmy
En annexe, on trouvera la liste des couleurs dans lesquels le 94 a été fabriqué, y compris les ébonites et les Persians. Ces renseignements viennent d’un très > bon article de Rob Astyk >auquel je n’ai malheureusement plus accès, j’espère que vous aurez plus de chance avec le lien, je me permets d’en copier un extrait.
In order of relative rarity within each category, the 94 models of which I know would form the following list:
Hard Rubber 94s
Gold Colored Trim
Olive Ripple
Blu-Green Ripple
Rose Ripple
Black, Silver Overlay
Black, 14Kt Trim
Black, Gold Overlay
Black, Chased
Black, Unchased
Red Ripple
Nickel or Chrome Trim
Olive Ripple
Blu-Green Ripple
Rose Ripple
Black, Chased
Black, Unchased
Red Ripple
Plastic 94s
Riveted Clip
Persian
Blue
Mahogany
Teardrop Clip
Mahogany
Steel Quartz
Moss Agate
Blue
Steel Quartz, Gold Filled Trim
Jet, Silver Overlay
Jet
Jet, Gold Overlay
Jet, 14Kt Trim
It is quite possible that there are special order and one-off variants including a Persian with a teardrop clip, as well as variants in Onyx, Emerald, Nacre and Turquoise. I haven’t seen them so, as with the possible hard rubber 94 in Cardinal, I can’t pass on their existence or lack thereof.