Ce qui m'a ramené en tête cette passionnante écoute des différents violons, c'est d'abord la plume d'un des stylos allemands arrivés hier matin, plume extraordinaire qui me rappelait la plume très similaire d'un autre stylo allemand ancien. Similaire mais complètement différente en même temps. Les deux sont fines, très incisives et très souples, elles demandent une main légère, écrire avec l'une fait immédiatement penser à l'autre (j'ai déjà dû le dire, il me semble qu'on oublie rarement une plume avec laquelle on a écrit, ne serait-ce qu'une seule fois, serait-ce il y a des années). On prend l'une, on reprend l'autre, on revient à la première. On les écoute. Très vite, on se rend compte que la dernière arrivée est plus douce que l'autre, que son attaque est différente, qu'on la sent à peine sur le papier. On les écoute, c'est comme d'entendre leurs harmoniques. Elles ne chantent pas exactement de la même manière. On écoute leurs bruits subtilement différents sur le papier. On pense aux autres plumes de la même marque dont déjà on est fou : leur accroche et leur étonnante légèreté en même temps, le fait qu'on les sent à peine sur la feuille vous ont tout de suite frappé, immédiatement accroché. Juste l'impression d'un souffle d'air un soir tranquille, d'une main légère qui vous frôlerait le duvet du bras, traversés parfois d'un coup de griffe. Quelque chose d'aérien, de précis, une douceur sans mollesse.
On pense aux autres plumes qu'on aime, à la personnalité de chacune, qui n'a rien à voir avec celle des autres. On pense au plaisir un peu inquiet de l'arrivée d'une nouvelle plume qu'on ne connaît pas, à la surprise parfois, au plaisir, à la déception, à l'incompréhension d'autres fois. On pense au coup de foudre (si si, ça existe, la plume fine oblique d'un Pelikan Ibis en est un exemple !). On en pressent qu'on va aimer mais qu'il va falloir travailler un peu auparavant. On sait qu'on les aime plutôt fines, légères, mordantes, moelleuses, flexibles et douces à la fois, on est agréablement surpris d'en aimer une plus rigide qui dit les mots autrement. On se dit que celle-ci serait parfaite pour écrire une lettre un peu acide, qu'on va prendre celle-là pour cacher la tristesse qui un soir vous tient, qu'avec celle-là, vive et facile, on aimerait partir et prendre des notes, qu'on va faire une proposition commerciale avec celle-ci qui va laisser transpirer une détermination sans faille, traits énergiques, vifs, nets et bien marqués, qu'avec telle autre, presqu'enfantine dans sa finesse et sa taille oblique si particulière, on aimerait écrire un long récit d'une toute petite écriture tranquille et nette, qu'on a envie de prendre cette autre-là, rétive et malicieuse, qui a envie qu'on lui fasse dire des bêtises, qui ne s'abandonne pas facilement, pour écrire à quelqu'un qui est cher et à qui j'emprunte le mot "malicieuse"...
C'est un minuscule plaisir de sentir très vite ces minuscules, ces parfois si infimes différences, de sentir une plume se livrer, s'ouvrir, de chercher un accord avec elle, ce qui prend parfois du temps. Je suis toujours surpris de constater que souvent, ce qu'on recherche, c'est "une plume douce". Il y a tellement de façons d'être douce pour une plume !
Si la plume est l'âme du stylo, elle n'est pas toute seule, évidemment. Si la mise en avant de la douceur seule de la plume m'ennuie toujours un peu, il m'ennuie toujours un peu aussi d'avoir l'impression que souvent, seuls le ramage, le dessin, l'apparence comptent. C'est comme pour l'instrument de musique. La taille, la forme, la répartition des poids, le vernis, les cordes, la résonance... L'équilibre, la taille et le poids, le matériau, le toucher, le temps qu'a traversé l'outil, peut-être, tout compte pour servir la plume. J'aime les stylos qui rappellent qu'ils sont d'abord des instruments d'écriture. Je pense aux deux stylos arrivés hier. A la pureté, voire à l'austérité de leur forme, l'un un peu plus rebondi, plus équilibré peut-être que l'autre un peu plus malingre, plus sec, plus manche de trique, mais qui tombe si bien en main, à leur mélange de celluloid et d'ébonite noirs (ah, le petit plaisir de la recherche, quelle partie est en celluloid, quelle autre en caoutchouc ? chercher à les dater à partir de là), à leur fenêtre d'encre ambrée striée. Au mécanisme de piston télescopique en métal.
Le bonheur avec les stylos, c'est d'oublier tout ça, de ne pas s'écouter en écrivant, mais d'avoir pleinement conscience de tout cela en même temps, de lier le corps et l'esprit aux minuscules sensations et nuances de la plume.
Je crois qu'il y a vraiment un lien, sans l'exagérer, entre instruments de musique et instruments à plume.
C'est juste ma manière de voir et d'aimer les stylos à plume

Ah, si, tiens, j'allais oublier, bonne année à tout le monde !
Jimmy