Une journée dans les plumes : la virée de deux stylooliques
Posté : 11 nov. 2009 11:54
L'autre lundi était jour de stylos. Je ferais pas ça tous les jours, mais une fois de temps à autre, c'est bien agréable. D'autant plus agréable que ça a été l'occasion de faire la connaissance et de passer un moment avec un des membres de ce petit forum. Journée de balade et de petits plaisirs de rien du tout, le meilleur de la journée étant d'abord bien sûr cette très plaisante rencontre où l'accroche s'est faite dès les premiers instants. Bon, allez, il a vendu la mèche ailleurs, l'autre, c'est Denis "Lizard" petizan.
L'histoire commence avec un Pelikan Lizard d'avant-guerre sur une table de café. Rhâââ lovely... Ce qui est amusant avec ce vieux zoziau, c'est que son prix et sa rareté tiennent d'abord à un tube de plastique de trois centimètres de long et de trois dizièmes de mm d'épaisseur qui recouvre le corps. Ca fait cher du gramme de celluloid... mais quel celluloid : on ne se lasserait pas de le tenir au creux de la main et de le regarder au compte-fils, d'admirer le trompe-l'oeil et l'entrelacs géométrique. Quand la plume touche le papier, on comprend pourquoi le Denis le regarde avec les yeux voilés et pourquoi son petit côté rugbyman corrézien s'amollit un peu ! Moi-même, euh, je me sentais un peu, comment dire, rapace devant cette discrète merveille... Pelikan rules !
L'animal ayant besoin d'un petit réglage de plume et fuyant à la section, direction boîti-boîta vers Styl'Honoré, juste à côté, que je ne connaissais que par ouï-dire, passant maintenant rarement à Paris. Les Arabian avaient une réputation à soutenir au vu de ce qu'on lit sur leur compte. C'est Madame Arabian qui a commencé par s'en charger, admirablement dois-je dire avec une certaine admiration, sinon une admiration certaine. Regard sur la boutique, présentation de quelques stylos, pendant que le Lizard passait dans les mains de Monsieur Arabian. Diagnostic rapide, ce n'est rien, revenez demain, ce sera fait. Là, j'ai senti mon petit camarade bien content. Continuant à parler, déballage de quelques vieilles choses que j'avais dans mon sac, lorsque qu'apparaît par magie (enfin par magie, passion et métier mélangés, cet homme est un malin !) un minuscule et vieil Ibis, un stylo économique, un stylo scolaire Pelikan d'avant la guerre, en fort bel état ma fois, bien poli, ce qui transformerait en carosse la plus pourrie des citrouilles. Rassure-toi, lecteur haletant, rien de pourri ici. Le Jimmy était déjà bien accroché, lorsque le patron, impitoyable, a porté le coup de grâce "Et la plume, vous avez vu la plume ?" Ben non, je ne l'avais pas envore vue. Compte-fils - superbe -, papier, et là, pouf, d'un coup, comme ça, le p'tit Jésus, les anges et tous leurs cousins-cousines, Sainte-Véronique et les autres qui descendent en rappel sans prévenir en me tapant dans le dos... Une légère et aérienne oblique fine comme j'en avais rarement touché une. Une plume merveilleuse. Une de plus, ça ne devrait plus me surprendre avec les vieilles Pelikan. Affaire faite, avec un moment plus tard, raison revenue, quelques doutes mineurs qui iront s'amplifiant sur la couleur inhabituelle pour un Ibis. Pas grande importance, ce petit travail de détective fait partie du plaisir. En fait, l'acquisition étant imprévue, un petit scrogneugneu était de rigueur ! Bavardages sur la marque et les plumes. Cet homme est vraiment agréable et passionnant. Un dinosaure dans son domaine. (L'essai de l'Ibis figure dans l'index des essais de stylos vintage.)
Une des choses les plus intéressantes lors de ce petit moment dans la boutique a été la découverte des Stipula. Si j'avais souvent lu des commentaires élogieux sur les Stipula et leurs plumes, je n'en avais jamais essayé. M. et Mme Arabian nous ont montré une édition limitée dont j'ai oublié le nom, fabriquée pour eux à quatre-vingt exemplaires par Stipula, noir et argent (j'en vois qui tendent l'oreille, au fond ?), clip en argent massif décoré d'un masque. Mais ce qui m'a immédiatement frappé, c'est l'agrément de la plume. Un toucher moelleux auquel je ne m'attendais pas de la part d'une plume moderne, une sensation si plaisante que quelques jours plus tard, je la conserve toujours dans la main (je ne sais pas si ça vous fait ça aussi, mais une plume qui m'a frappé, je peux souvent m'en souvenir très précisément des années après, même si je n'ai écrit que vingt secondes avec). Ma-gni-fi-que plume ! Le meilleur, c'est que ce stylo est vendu au prix de 240 euros, ce qui est très raisonnable. Essai rapide également d'un gros Da Vinci, un amusant safety à plume rétractable. Si cet énorme stylo est anecdodique à mes yeux, l'intérêt en est d'abord la plume flexible Stipula en titane que je n'avais jamais eue en mains.
Durant tout ce temps, je regardais discrètement quelques clients parler avec M. Arabian. De toute évidence, beaucoup d'écoute et de confiance. Une belle manière de parler du stylo qu'apportait le client ou de celui en réparation qu'il allait retrouver le lendemain, réparé ou réglé exactement pour sa main, manière si éloignée du consumérisme régnant. Cela me rappelle ce qu'a joliment répondu Arabian lorsque je lui ai demandé s'il avait d'autres vieux Pelikan : quelque chose comme "un seul suffira pour aujourd'hui, profitez donc de celui-ci."
Il est à noter, ce que savent beaucoup d'entre vous, qu'il retaille et affine les plumes selon les souhaits du client.
Achat pour terminer d'une belle encre Cocktail "Forêt verte" dont je parle ailleurs. Quel dommage, quel non-sens qu'ils n'aient pas de nuancier ! Déjà dit ici, ils aussi ont quelques flacons hors de prix de Pilot Iroshizuku.
Une autre chose m'a frappé, la jolie manière de fonctionner en équipe du team Arabian. Il y a peu de chances qu'ils lisent ceci, mais si cela leur tombe sous les yeux, qu'ils soient remerciés pour l'accueil léger, le professionalisme, la découverte et le plaisir du court moment passé chez eux.
Comme nous commencions à avoir la dent, déjeûner dans un petit boui-boui* tout proche. J'adorais ces endroits, autrefois. Vous saurez tout, jusqu'à la lie : saucisse-lentilles, fillette de beaujolais, tarte aux poires et aux cerises. Il n'y a pas de belle journée sans soutien du moral des troupes. Bavardages, discussions sur tout et rien, sur l'édition et l'écriture, un oeil sur les carnets à élastique de Denis... Je m'inquiète quant à l'avenir du Lizard : il a déjà perdu son vieux stylo - pas grave, ça lui a permis de venir ici - , il dit tout perdre, il a perdu sa casquette en sortant du restaurant.
Bon, un rot et au taf, y a pas que ça à faire. Direction Mora chez qui j'entre de (très) loin en loin et de qui je n'ai qu'à me louer pour les rares affaires que j'y ai faites. Je voulais absolument depuis un moment essayer un Oldwin. Contraste entre MM. Mora et Arabian, les deux très bien, si différents l'un de l'autre. En passant, l'agencement des deux boutiques pour qui voudrait se lancer dans la psychologie commerciale est assez édifiante sur la personnalité de leurs propriétaires
Très belles pièces comme toujours, quelques vraiment belles choses sur les plateaux d'ancien... Ah oui, l'Oldwin, j'y viens. Etaient présentés le modèle de taille normale et le Giant, vraiment très Giant. C'est fait pour des pattes d'ours, au moins, cet énorme modèle. Modèles en résine, en ébonite, en olivier, en métal, peints, sculptés, j'en passe. J'en resterai à la taille normale en finition ordinaire que j'ai essayé. Taille normale déjà respectable. Ce stylo est - M..., j'ai épuisé mon sac de superlatifs - magnifique de chez magnifique. Impressed I am, voilà qu'il me fait causer anglais. Directement issu de la forme originale, je passe sur l'histoire de l'Oldwin que vous connaissez, une forme convexe très pure effilée aux deux bouts. Comme c'était souvant le cas sur les anciens stylos, les filets sont rejetés en bout de section, ce qui assure une préhension ultra-confortable où rien ne gène ni n'accroche. Le stylo est gros, mais là encore très confortable, même pour moi qui n'apprécie pas plus que ça les gros stylos, ceci grâce à la section qui va s'affinant. Il n'est pas lourd et est très bien équilibré. Une pure réussite. La belle et très grande plume (n° 7, une des seules, sinon la seule en France) à l'estampage très sobre "Oldwin" n'existe qu'en taille M (rajouté plus tard : et en F sur demande à présent), elle est typique des plumes modernes. C'est la seule chose qui m'ennuie un peu, mais je ne vais pas faire une fois de plus le vieux c... sur ces plumes modernes. Bref, ce stylo est une belle réussite. S'il y avait le choix de la taille et quelque chose d'un peu plus moelleux au bout, je mettrais tout de suite des sous de côté pour m'en offrir un. Quelque chose comme un Oldwin avec une plume de Stipula... A côté de celui-ci, André Mora produit également un autre beau stylo à la forme Art déco, aux extrémités tronquées pyramidales. Passer chez ce très grand connaisseur qu'est André Mora est toujours un plaisir.
Bon, il est temps que ça s'arrête. Vous en avez marre et j'ai envie d'aller faire un tour. Donc le Denis et moi nous sommes quittés tout émotionnés
(je n'ai pas trouvé de smiley qui pleure, celui-ci fera l'affaire) près de l'Odéon, j'ai marché longuement (15 mn, ouais, tiens... non, en fait, infoutu de me souvenir où je m'étais garé) vers mon auto et je suis rentré sagement chez moi en racontant des histoires ("Als das Kind Kind war...") à mon Ibis assis à côté de moi, en écoutant des conneries sur la chute du Mur. Non, il y avait quand même quelques beaux reportages sur Berlin au milieu. Denis, c'était une minuscule jolie journée. Remerciements aux acteurs, le serveur du bar, les Arabian, Mora, la dame du resto, la saucisse, la ville de Paris, les casquettes Jack-quelque-chose, Stipula, Oldwin, Pelikan...
Jimmy
* Ami lecteur, si tu veux partir sur nos traces et revivre cette inoubliable épopée, le rade auvergnat s'appelle le Rubis, à deux pas de Styl'Honoré. Vraiment sympathique.
L'histoire commence avec un Pelikan Lizard d'avant-guerre sur une table de café. Rhâââ lovely... Ce qui est amusant avec ce vieux zoziau, c'est que son prix et sa rareté tiennent d'abord à un tube de plastique de trois centimètres de long et de trois dizièmes de mm d'épaisseur qui recouvre le corps. Ca fait cher du gramme de celluloid... mais quel celluloid : on ne se lasserait pas de le tenir au creux de la main et de le regarder au compte-fils, d'admirer le trompe-l'oeil et l'entrelacs géométrique. Quand la plume touche le papier, on comprend pourquoi le Denis le regarde avec les yeux voilés et pourquoi son petit côté rugbyman corrézien s'amollit un peu ! Moi-même, euh, je me sentais un peu, comment dire, rapace devant cette discrète merveille... Pelikan rules !
L'animal ayant besoin d'un petit réglage de plume et fuyant à la section, direction boîti-boîta vers Styl'Honoré, juste à côté, que je ne connaissais que par ouï-dire, passant maintenant rarement à Paris. Les Arabian avaient une réputation à soutenir au vu de ce qu'on lit sur leur compte. C'est Madame Arabian qui a commencé par s'en charger, admirablement dois-je dire avec une certaine admiration, sinon une admiration certaine. Regard sur la boutique, présentation de quelques stylos, pendant que le Lizard passait dans les mains de Monsieur Arabian. Diagnostic rapide, ce n'est rien, revenez demain, ce sera fait. Là, j'ai senti mon petit camarade bien content. Continuant à parler, déballage de quelques vieilles choses que j'avais dans mon sac, lorsque qu'apparaît par magie (enfin par magie, passion et métier mélangés, cet homme est un malin !) un minuscule et vieil Ibis, un stylo économique, un stylo scolaire Pelikan d'avant la guerre, en fort bel état ma fois, bien poli, ce qui transformerait en carosse la plus pourrie des citrouilles. Rassure-toi, lecteur haletant, rien de pourri ici. Le Jimmy était déjà bien accroché, lorsque le patron, impitoyable, a porté le coup de grâce "Et la plume, vous avez vu la plume ?" Ben non, je ne l'avais pas envore vue. Compte-fils - superbe -, papier, et là, pouf, d'un coup, comme ça, le p'tit Jésus, les anges et tous leurs cousins-cousines, Sainte-Véronique et les autres qui descendent en rappel sans prévenir en me tapant dans le dos... Une légère et aérienne oblique fine comme j'en avais rarement touché une. Une plume merveilleuse. Une de plus, ça ne devrait plus me surprendre avec les vieilles Pelikan. Affaire faite, avec un moment plus tard, raison revenue, quelques doutes mineurs qui iront s'amplifiant sur la couleur inhabituelle pour un Ibis. Pas grande importance, ce petit travail de détective fait partie du plaisir. En fait, l'acquisition étant imprévue, un petit scrogneugneu était de rigueur ! Bavardages sur la marque et les plumes. Cet homme est vraiment agréable et passionnant. Un dinosaure dans son domaine. (L'essai de l'Ibis figure dans l'index des essais de stylos vintage.)
Une des choses les plus intéressantes lors de ce petit moment dans la boutique a été la découverte des Stipula. Si j'avais souvent lu des commentaires élogieux sur les Stipula et leurs plumes, je n'en avais jamais essayé. M. et Mme Arabian nous ont montré une édition limitée dont j'ai oublié le nom, fabriquée pour eux à quatre-vingt exemplaires par Stipula, noir et argent (j'en vois qui tendent l'oreille, au fond ?), clip en argent massif décoré d'un masque. Mais ce qui m'a immédiatement frappé, c'est l'agrément de la plume. Un toucher moelleux auquel je ne m'attendais pas de la part d'une plume moderne, une sensation si plaisante que quelques jours plus tard, je la conserve toujours dans la main (je ne sais pas si ça vous fait ça aussi, mais une plume qui m'a frappé, je peux souvent m'en souvenir très précisément des années après, même si je n'ai écrit que vingt secondes avec). Ma-gni-fi-que plume ! Le meilleur, c'est que ce stylo est vendu au prix de 240 euros, ce qui est très raisonnable. Essai rapide également d'un gros Da Vinci, un amusant safety à plume rétractable. Si cet énorme stylo est anecdodique à mes yeux, l'intérêt en est d'abord la plume flexible Stipula en titane que je n'avais jamais eue en mains.
Durant tout ce temps, je regardais discrètement quelques clients parler avec M. Arabian. De toute évidence, beaucoup d'écoute et de confiance. Une belle manière de parler du stylo qu'apportait le client ou de celui en réparation qu'il allait retrouver le lendemain, réparé ou réglé exactement pour sa main, manière si éloignée du consumérisme régnant. Cela me rappelle ce qu'a joliment répondu Arabian lorsque je lui ai demandé s'il avait d'autres vieux Pelikan : quelque chose comme "un seul suffira pour aujourd'hui, profitez donc de celui-ci."
Il est à noter, ce que savent beaucoup d'entre vous, qu'il retaille et affine les plumes selon les souhaits du client.
Achat pour terminer d'une belle encre Cocktail "Forêt verte" dont je parle ailleurs. Quel dommage, quel non-sens qu'ils n'aient pas de nuancier ! Déjà dit ici, ils aussi ont quelques flacons hors de prix de Pilot Iroshizuku.
Une autre chose m'a frappé, la jolie manière de fonctionner en équipe du team Arabian. Il y a peu de chances qu'ils lisent ceci, mais si cela leur tombe sous les yeux, qu'ils soient remerciés pour l'accueil léger, le professionalisme, la découverte et le plaisir du court moment passé chez eux.
Comme nous commencions à avoir la dent, déjeûner dans un petit boui-boui* tout proche. J'adorais ces endroits, autrefois. Vous saurez tout, jusqu'à la lie : saucisse-lentilles, fillette de beaujolais, tarte aux poires et aux cerises. Il n'y a pas de belle journée sans soutien du moral des troupes. Bavardages, discussions sur tout et rien, sur l'édition et l'écriture, un oeil sur les carnets à élastique de Denis... Je m'inquiète quant à l'avenir du Lizard : il a déjà perdu son vieux stylo - pas grave, ça lui a permis de venir ici - , il dit tout perdre, il a perdu sa casquette en sortant du restaurant.
Bon, un rot et au taf, y a pas que ça à faire. Direction Mora chez qui j'entre de (très) loin en loin et de qui je n'ai qu'à me louer pour les rares affaires que j'y ai faites. Je voulais absolument depuis un moment essayer un Oldwin. Contraste entre MM. Mora et Arabian, les deux très bien, si différents l'un de l'autre. En passant, l'agencement des deux boutiques pour qui voudrait se lancer dans la psychologie commerciale est assez édifiante sur la personnalité de leurs propriétaires

Bon, il est temps que ça s'arrête. Vous en avez marre et j'ai envie d'aller faire un tour. Donc le Denis et moi nous sommes quittés tout émotionnés

Jimmy
* Ami lecteur, si tu veux partir sur nos traces et revivre cette inoubliable épopée, le rade auvergnat s'appelle le Rubis, à deux pas de Styl'Honoré. Vraiment sympathique.