[long] Montblanc d'aujourd'hui et d'antan
Posté : 06 oct. 2016 18:03
En une fin d’après-midi d’automne de 1998, je déambule dans les rayons d’un Cash Converter sur le chemin de la maison, l’histoire de décompresser un peu avant de rentrer. En vitrine il y avait un majestueux Montblanc 149 proposé à 1000 francs que je demande à voir.
J’ai toujours aimé la taille et la présence de ce Montblanc, mais la réputation à l’époque d’un stylo qui fuit m’en a gardé éloigné, d’autant plus qu’en tant qu’informaticien, j’avais peu l’occasion d’écrire à la main.
Je finis tout de même par céder à la tentation.
Le stylo me plait, mais je ne me fais pas vraiment à la plume ; je ne suis pas très à l’aise. Je mettais cela sur le compte du façonnage de la plume à l’écriture de l’ancien propriétaire comme c’était la conviction à l’époque.
Quelques mois plus tard, j’ai fini par aller chez Montblanc, rue du Faubourg Saint-Honoré. J’expose mon problème à la charmante vendeuse qui me fait monter à l’atelier du premier étage. Là, le maître d’atelier, un quinquagénaire en tablier, barbu, trapu, bougon et bourru – autant de signes distinctifs de l’excellent artisan qui possède son art - se met à choisir parmi les centaines – peut-être des milliers – de plumes qu’il avait devant lui quelques-unes qu’il me fait essayer. J’en choisis une et c’était une merveille. Combien je vous dois ? C’est offert.
Je n’en revenais pas, mais j’ai compris ce qu’était une grande marque.
Quelques années plus tard, j’oublie le stylo dans la poche d’un costume que je porte au pressing. Inutile de vous dire que je ne l’ai plus jamais revu.
Me voyant chagriné, ma femme saisit l’occasion de mon anniversaire à l’automne 2004 pour m’offrir un 146 (ou un Chopin : je n’ai toujours pas investigué sérieusement). Après les remerciements d’usages, et ayant entre temps contacté le virus du collectionneur, j’ai mis quelques mois avant d’encrer le stylo et de constater que la plume était beaucoup trop juteuse pour mon écriture qui, à la base, est assez ronde, ce qui a tendance à la rendre trop massive. Mais comme c’était un cadeau, je l’ai accepté tel quel.
Des années plus tard, constatant que, de toute ma collection, ce stylo est celui que j’utilise le moins (pour ne pas dire rarement), je décide enfin de changer la plume.
J’apprends qu’il n’y a plus d’atelier chez Montblanc rue du faubourg Saint-Honoré, mais qu’il y en a une avenue des Champs-Elysées.
Aujourd’hui, toutes les conditions étaient réunies : le stylo est dans ma poche, je suis proche du quartier et j’ai une petite heure de libre. Je vais donc dans la boutique des Champs-Elysées.
La boutique est beaucoup plus grande (flagship oblige) et ce n’est pas une charmante vendeuse qui m’accueille avec le sourire, mais un ténébreux brun tout de noir vêtu à qui j’expose mon problème et demande à voir l’atelier. Il me répond que certes il y a un atelier, mais qu’on n’y fait pas de changement de plume ; il faut l’envoyer ailleurs avec un délai d’au moins quinze jours. Je me demande alors quel est l’utilité d’un atelier qui n’est pas capable de faire une opération aussi basique que le changement de plume. Mais passons.
Je demande par acquis de conscience si c’était payant. Le monsieur consulte son document et m’annonce la somme de 265 euros !
J’ai un instant cru qu’il s’agissait d’un sketch de Laurant Gerra imitant Pierre Bellemare dans le télé achat : un changement de plume pour la modique somme de 265 euros.
J’exprime mon étonnement devant une telle somme rapportée au prix du stylo (qu’on tient dans ces lieux à appeler instrument, tout comme les bottiers qui tiennent à appeler les chaussures souliers) pour m’entendre répondre que c’est tout de même de l’or. J’insiste : c’est quand-même beaucoup pour un simple changement de plume, et puis de toute les façons ça a beau être de l’or, vous la gardez la plume. Ah non, on vous la rend, me répond-il. J’ai rétorqué sans réfléchir : et que voulez-vous que j’en fasse ? Est-ce par manque d’esprit ou plus probablement par politesse qu’il n’a pas saisi la perche que je lui ai tendue ? Heureusement pour moi.
J’écourte la discussion et m’apprête à sortir quand une de ses collègues et lui-même me disent au revoir, auxquels je réponds : certainement pas ! Et je le pense vraiment.
Je ne sais pas si c’est moi qui ne suis pas normal, qui suis devenu pingre ou quoi, mais je trouve que les marques ont pété les plombs. Aujourd’hui, un stylo, a fortiori plume, n’a aucune utilité pour moi, mais j’imagine que c’est le cas pour la plus part d’entre nous. J’en emporte pourtant toujours deux ou trois avec moi. J’invente des occasions pour continuer à les utiliser, je saute de joie quand on me demande de remplir un formulaire ou quand on me réclame un chèque, je gribouille dans les réunions (pendant que je prends les vraies notes sur mon portable), j’offre des stylos et des encriers à mes enfants pour leur donner l’amour de ces objets … bref, j’essaie de tenir sous perfusion un objet qu’on sait tous moribond. Pendant ce temps, les marques s’ingénient à se rendre détestables, et ce n’est pas propre au stylo, dans la montre mécanique - mon autre obsession - également moribonde !
Voilà, c’est un peu long, mais je voulais partager avec vous la constatation d’une évolution que je trouve négative : une extraordinaire inflation des prix qui s’accompagne d’une diminution du service client.
Accessoirement, mais ce n'est pas l'objet, toute proposition de solution (beaucoup) moins onéreuse est la bienvenue !
J’ai toujours aimé la taille et la présence de ce Montblanc, mais la réputation à l’époque d’un stylo qui fuit m’en a gardé éloigné, d’autant plus qu’en tant qu’informaticien, j’avais peu l’occasion d’écrire à la main.
Je finis tout de même par céder à la tentation.
Le stylo me plait, mais je ne me fais pas vraiment à la plume ; je ne suis pas très à l’aise. Je mettais cela sur le compte du façonnage de la plume à l’écriture de l’ancien propriétaire comme c’était la conviction à l’époque.
Quelques mois plus tard, j’ai fini par aller chez Montblanc, rue du Faubourg Saint-Honoré. J’expose mon problème à la charmante vendeuse qui me fait monter à l’atelier du premier étage. Là, le maître d’atelier, un quinquagénaire en tablier, barbu, trapu, bougon et bourru – autant de signes distinctifs de l’excellent artisan qui possède son art - se met à choisir parmi les centaines – peut-être des milliers – de plumes qu’il avait devant lui quelques-unes qu’il me fait essayer. J’en choisis une et c’était une merveille. Combien je vous dois ? C’est offert.
Je n’en revenais pas, mais j’ai compris ce qu’était une grande marque.
Quelques années plus tard, j’oublie le stylo dans la poche d’un costume que je porte au pressing. Inutile de vous dire que je ne l’ai plus jamais revu.
Me voyant chagriné, ma femme saisit l’occasion de mon anniversaire à l’automne 2004 pour m’offrir un 146 (ou un Chopin : je n’ai toujours pas investigué sérieusement). Après les remerciements d’usages, et ayant entre temps contacté le virus du collectionneur, j’ai mis quelques mois avant d’encrer le stylo et de constater que la plume était beaucoup trop juteuse pour mon écriture qui, à la base, est assez ronde, ce qui a tendance à la rendre trop massive. Mais comme c’était un cadeau, je l’ai accepté tel quel.
Des années plus tard, constatant que, de toute ma collection, ce stylo est celui que j’utilise le moins (pour ne pas dire rarement), je décide enfin de changer la plume.
J’apprends qu’il n’y a plus d’atelier chez Montblanc rue du faubourg Saint-Honoré, mais qu’il y en a une avenue des Champs-Elysées.
Aujourd’hui, toutes les conditions étaient réunies : le stylo est dans ma poche, je suis proche du quartier et j’ai une petite heure de libre. Je vais donc dans la boutique des Champs-Elysées.
La boutique est beaucoup plus grande (flagship oblige) et ce n’est pas une charmante vendeuse qui m’accueille avec le sourire, mais un ténébreux brun tout de noir vêtu à qui j’expose mon problème et demande à voir l’atelier. Il me répond que certes il y a un atelier, mais qu’on n’y fait pas de changement de plume ; il faut l’envoyer ailleurs avec un délai d’au moins quinze jours. Je me demande alors quel est l’utilité d’un atelier qui n’est pas capable de faire une opération aussi basique que le changement de plume. Mais passons.
Je demande par acquis de conscience si c’était payant. Le monsieur consulte son document et m’annonce la somme de 265 euros !
J’ai un instant cru qu’il s’agissait d’un sketch de Laurant Gerra imitant Pierre Bellemare dans le télé achat : un changement de plume pour la modique somme de 265 euros.
J’exprime mon étonnement devant une telle somme rapportée au prix du stylo (qu’on tient dans ces lieux à appeler instrument, tout comme les bottiers qui tiennent à appeler les chaussures souliers) pour m’entendre répondre que c’est tout de même de l’or. J’insiste : c’est quand-même beaucoup pour un simple changement de plume, et puis de toute les façons ça a beau être de l’or, vous la gardez la plume. Ah non, on vous la rend, me répond-il. J’ai rétorqué sans réfléchir : et que voulez-vous que j’en fasse ? Est-ce par manque d’esprit ou plus probablement par politesse qu’il n’a pas saisi la perche que je lui ai tendue ? Heureusement pour moi.
J’écourte la discussion et m’apprête à sortir quand une de ses collègues et lui-même me disent au revoir, auxquels je réponds : certainement pas ! Et je le pense vraiment.
Je ne sais pas si c’est moi qui ne suis pas normal, qui suis devenu pingre ou quoi, mais je trouve que les marques ont pété les plombs. Aujourd’hui, un stylo, a fortiori plume, n’a aucune utilité pour moi, mais j’imagine que c’est le cas pour la plus part d’entre nous. J’en emporte pourtant toujours deux ou trois avec moi. J’invente des occasions pour continuer à les utiliser, je saute de joie quand on me demande de remplir un formulaire ou quand on me réclame un chèque, je gribouille dans les réunions (pendant que je prends les vraies notes sur mon portable), j’offre des stylos et des encriers à mes enfants pour leur donner l’amour de ces objets … bref, j’essaie de tenir sous perfusion un objet qu’on sait tous moribond. Pendant ce temps, les marques s’ingénient à se rendre détestables, et ce n’est pas propre au stylo, dans la montre mécanique - mon autre obsession - également moribonde !
Voilà, c’est un peu long, mais je voulais partager avec vous la constatation d’une évolution que je trouve négative : une extraordinaire inflation des prix qui s’accompagne d’une diminution du service client.
Accessoirement, mais ce n'est pas l'objet, toute proposition de solution (beaucoup) moins onéreuse est la bienvenue !