Papier Chiffon et Moulin Richard de Bas
Posté : 30 août 2020 17:33
Le papier chiffon est un papier produit artisanalement à partir de chiffons de récupération, selon une tradition médiévale, toujours à l’œuvre en France dans quelques moulins à eau.
J'ai eu l'occasion de visiter le Moulin Richard de Bas, qui comprend un petit musée du papier, une démonstration de la fabrication, et une boutique proposant la production du moulin.
C'est un moulin à eau, situé près de la ville d'Ambert (terre de la fourme du même nom), en Auvergne.
Vers 1450, il commence la fabrication, à la main et feuille à feuille, de papier, à partir de chiffons de coton de récupération.
Les chiffons sont mis à tremper dans une pile en granit, où ils vont être frappés par des maillets, entraînés par l'arbre à cames, un tronc de sapin de 11 m de long, lui-même mis en rotation par la roue à aubes.
Une première étape, le défibrage, dure 24 heures et se fait avec des maillets aux têtes recouvertes de clous.
Une deuxième étape, le raffinage, dure 12 heures et se fait dans une autre pile, où les maillets ne sont pas cloutés. Au cours de cette étape, le papetier ajoute une colle à la pâte à papier, sans quoi le papier obtenu serait du buvard, trop absorbant.
A la grande époque de fonctionnement du moulin, la colle utilisée était une gélatine, obtenue en faisant bouillir des os de bétail. Aujourd'hui c'est de l'essence de pin (térébenthine) qui est utilisée.
Le Maître Papetier choisit la dilution de pâte à papier en fonction du grammage du papier qu'il souhaite produire (de 80 à 480 g/m²). L'hiver, la pâte à papier est vierge, donnant un papier blanc. L'été, il ajoute directement dans la pâte des petites fleurs cueillies le matin-même, donnant un papier à inclusions florales.
Pour réaliser une feuille, le papetier commence par remuer la pâte à papier avec le redable (sorte d'immense écumoire). Puis il enfonce une « plaque » rectangulaire à plusieurs centimètres sous le niveau de la pâte à papier, il la remonte et imprime des mouvements oscillants pour qu'elle s'égoutte un peu. Ce mouvement est apparemment un des mouvements les plus techniques du métier. Il va influencer l'homogénéité et le grammage de la feuille de papier obtenue.
La « plaque » est en réalité composée d'un cadre, recouvert d'un tamis métallique et surmonté d'une couverte.
Il existe deux formes de tamis.
Dans la forme vergée, le tamis est grossièrement quadrillé. Les lignes horizontales sont appelées vergeures, et les verticales, chaînettes. Les vergeures et les chaînettes se retrouvent en filigrane sur le papier.
Dans la forme vélin, le tamis est très finement tissé, ce qui ne donne pas de filigrane.
Le papetier ajoute sur le tamis l'emblème du moulin, en cousant ou en soudant un fil de laiton. A Richard de Bas, il s'agit du cœur fascé (barré de deux traits), qui se retrouve ainsi en filigrane sur tous les papiers fabriqués au moulin.
Les filigranes :
en haut, la date 1326, le cœur fascé et l'inscription « Richard de Bas »
en bas, l'inscription « Auvergne / à la main »
on distingue les chaînettes, beaucoup plus clairement que les vergeures.
NB : le fascicule distribué pour la visite stipule « le centre ambertois commencera à tourner vers 1450 ». J'ignore à quoi la date 1326 fait référence. Peut-être que durant son premier siècle, le moulin avait une autre vocation que le papier ?
La couverte est un couvercle qui ne recouvre que le pourtour du cadre (à la manière du cadre d'un tableau).
Quand le papetier a égoutté le cadre à sa convenance, il retire la couverte, puis retourne le cadre sur un grand feutre de laine rectangulaire. Cette étape est appelée le couchage, puisque le papetier dépose ainsi une couche de pâte sur le feutre.
Le papetier va réitérer ces opérations (brassage de la pâte, plonge de la forme dans la pâte, couchage de la pâte) en empilant les feuilles de papier, toujours séparées par leurs feutres de laine, jusqu'à obtenir un empilement de 100 feuilles de papier (et 101 feutres), alors encore gorgées d'eau. Cet empilement est appelé une porce. La porce est amenée sous une presse, qui va d'abord être tournée à la main, puis à l'aide d'un cabestan. Ce système permet d'exercer 40 tonnes de pression sur la porce.
Après le pressage, chaque feuille est séparée de son feutre et étendue pour finir de sécher.
Dans l'ancien temps, les feuilles étaient pliées en deux sur des cordes à linge. Aujourd'hui elles sont fixées à ces mêmes cordes par des sortes de pince à linge, deux par deux, pour que le séchage se fasse lentement, et ainsi que la feuille reste le plus plate possible.
Le papier est ensuite entreposé à plat pendant plusieurs semaines, avant d'être laminé : chaque feuille passe entre deux rouleaux métalliques, ce qui va à la fois contribuer à l'aplanir et faire apparaître un grain à la surface.
Enfin, le papier est ébarbé : les bavures des bords de la feuille sont retirées au couteau.
L'été est également produit un papier préparé par les bouquetières : elles confectionnent une feuille de papier blanc, qu'elles laissent égoutter un peu, mais ensuite, au lieu de coucher le papier, elles le posent devant elles et vont venir y déposer, une à une, des fleurs et des feuilles. Une fois leur composition terminée, elles versent un peu de pâte à papier diluée sur leur composition pour fixer les fleurs dans le papier. Elles vont ensuite ajouter leur production à la porce du Maître Papetier pour qu'elle soit pressée avec.
Ainsi, contrairement au papier à inclusions florales, où les fleurs sont réparties au hasard et sur toute l'épaisseur du papier, le papier des bouquetières présente un motif choisi, uniquement à la surface du papier.
Ce moulin a notamment fourni le papier de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, au XVIIIe siècle, de l'exemplaire ratifié de la Vème constitution, en 1958, ainsi que des supports pour des artistes tels Picasso ou Dali.
Actualité brûlante : le moulin a reçu la semaine dernière le label "Entreprise du Patrimoine Vivant".
Le Moulin propose des ateliers d'initiation à la fabrication du papier. Mon chéri et moi étions les seuls adultes inscrits à cette activité, mais ce n'est pas ça qui allait nous arrêter...
Chacun son tour, on nous a donné un redable pour remuer la pâte dans une cuve (plus petite que celle du Maître Papetier), puis une forme, plus petite également (format A4 pour nous. Je crois que le Maître manipulait un format A2). On a plongé notre forme dans la pâte à papier (c'était rigolo, on avait la moitié des avant-bras recouverts de pâte à papier). Petits joueurs, on a laissé la forme s'égoutter simplement en la maintenant horizontale. Ensuite on a retiré la couverte et couché la feuille sur un feutre.
Puis nous avons positionné nos deux feuilles avec leurs deux feutres sur une mini-presse à main avec l'animatrice qui suppliait « allez-y doucement, cette presse est prévue pour des enfants, si vous serrez trop fort vous allez nous la casser ». Elle a ensuite placé nos feuilles légèrement essorées (toujours dans leurs feutres) dans un carton plié en deux, en nous demandant de la garder à plat, puis, en arrivant chez nous, de laisser sécher nos feuilles à l'air libre et à l'horizontale pendant deux jours, puis de les laisser quelques jours sous une grosse pile de livres.
Tadam !
L'on voit là encore le cœur fascé en haut à gauche. On ne distingue là ni chaînettes ni vergeures. On peut voir que les petites fleurs sont dans la masse du papier : tantôt dessus, tantôt derrière, tantôt dedans...
Maintenant la question que nous nous posons tous : et est-ce que ce papier convient aux stylos-plumes ?
Pour mon goût, ce n'est quand même pas l'idéal.
Voici une page de test.
Donc, si vous utilisez une plume fine, et qu'un rendu artisanal et irrégulier trouve grâce à vos yeux, c'est un très beau papier, qui fournit une expérience d'écriture originale et intéressante.
Mais, malgré l'essence de pin ajoutée, c'est un papier très absorbant. Comme me l'a fait très justement remarquer Jddegap, les papiers absorbants ne confèrent pas d'ombrages aux encres déposées dessus.
Si vous utilisez une plume moyenne, large ou italique, ça risque de fougériser un peu par endroits. Mais ça passe encore à peu près.
En revanche, si vous faites de la calligraphie, vous ralentissez le geste, et le papier va boire pas mal d'encre, augmentant le risque de fougérisation.
De même, si vous utilisez une plume flex, attendez-vous à une couleur hyper-foncée et qui fougérise.
En résumé, écrire au stylo-plume oui (surtout avec une plume fine et une écriture rapide), mais faire de la calligrahie non. Ce que je trouve quand même dommage pour un papier présenté comme luxueux.
Je n'ai pas encore fait de test d'écriture sur du papier à inclusions florales, mais j'ai peur qu'il y ait de fortes disparités de comportement, par exemple qu'écrire sur une fleur offre plus de glisse et moins d'absorption.
Pour aller plus loin
- le site du moulin que j'ai visité, Richard de Bas, en Auvergne
- le site du moulin de Vallis Clausa, en Provence, qui avait été mentionné dans ce fil de la section calligraphie pour leur rééédition d'un ancien manuel d'écriture
- les sites d'autres moulins à papier
http://lespapiersdumoulin.com/photos_de ... u__68.html
https://www.moulin-papier.com/
http://www.moulinapapier.com/
https://www.moulin-a-papier.com/
https://www.lemoulinapapierduliveau.com/
J'ai eu l'occasion de visiter le Moulin Richard de Bas, qui comprend un petit musée du papier, une démonstration de la fabrication, et une boutique proposant la production du moulin.
C'est un moulin à eau, situé près de la ville d'Ambert (terre de la fourme du même nom), en Auvergne.
Vers 1450, il commence la fabrication, à la main et feuille à feuille, de papier, à partir de chiffons de coton de récupération.
Les chiffons sont mis à tremper dans une pile en granit, où ils vont être frappés par des maillets, entraînés par l'arbre à cames, un tronc de sapin de 11 m de long, lui-même mis en rotation par la roue à aubes.
Une première étape, le défibrage, dure 24 heures et se fait avec des maillets aux têtes recouvertes de clous.
Une deuxième étape, le raffinage, dure 12 heures et se fait dans une autre pile, où les maillets ne sont pas cloutés. Au cours de cette étape, le papetier ajoute une colle à la pâte à papier, sans quoi le papier obtenu serait du buvard, trop absorbant.
A la grande époque de fonctionnement du moulin, la colle utilisée était une gélatine, obtenue en faisant bouillir des os de bétail. Aujourd'hui c'est de l'essence de pin (térébenthine) qui est utilisée.
Le Maître Papetier choisit la dilution de pâte à papier en fonction du grammage du papier qu'il souhaite produire (de 80 à 480 g/m²). L'hiver, la pâte à papier est vierge, donnant un papier blanc. L'été, il ajoute directement dans la pâte des petites fleurs cueillies le matin-même, donnant un papier à inclusions florales.
Pour réaliser une feuille, le papetier commence par remuer la pâte à papier avec le redable (sorte d'immense écumoire). Puis il enfonce une « plaque » rectangulaire à plusieurs centimètres sous le niveau de la pâte à papier, il la remonte et imprime des mouvements oscillants pour qu'elle s'égoutte un peu. Ce mouvement est apparemment un des mouvements les plus techniques du métier. Il va influencer l'homogénéité et le grammage de la feuille de papier obtenue.
La « plaque » est en réalité composée d'un cadre, recouvert d'un tamis métallique et surmonté d'une couverte.
Il existe deux formes de tamis.
Dans la forme vergée, le tamis est grossièrement quadrillé. Les lignes horizontales sont appelées vergeures, et les verticales, chaînettes. Les vergeures et les chaînettes se retrouvent en filigrane sur le papier.
Dans la forme vélin, le tamis est très finement tissé, ce qui ne donne pas de filigrane.
Le papetier ajoute sur le tamis l'emblème du moulin, en cousant ou en soudant un fil de laiton. A Richard de Bas, il s'agit du cœur fascé (barré de deux traits), qui se retrouve ainsi en filigrane sur tous les papiers fabriqués au moulin.
Les filigranes :
en haut, la date 1326, le cœur fascé et l'inscription « Richard de Bas »
en bas, l'inscription « Auvergne / à la main »
on distingue les chaînettes, beaucoup plus clairement que les vergeures.
NB : le fascicule distribué pour la visite stipule « le centre ambertois commencera à tourner vers 1450 ». J'ignore à quoi la date 1326 fait référence. Peut-être que durant son premier siècle, le moulin avait une autre vocation que le papier ?
La couverte est un couvercle qui ne recouvre que le pourtour du cadre (à la manière du cadre d'un tableau).
Quand le papetier a égoutté le cadre à sa convenance, il retire la couverte, puis retourne le cadre sur un grand feutre de laine rectangulaire. Cette étape est appelée le couchage, puisque le papetier dépose ainsi une couche de pâte sur le feutre.
Le papetier va réitérer ces opérations (brassage de la pâte, plonge de la forme dans la pâte, couchage de la pâte) en empilant les feuilles de papier, toujours séparées par leurs feutres de laine, jusqu'à obtenir un empilement de 100 feuilles de papier (et 101 feutres), alors encore gorgées d'eau. Cet empilement est appelé une porce. La porce est amenée sous une presse, qui va d'abord être tournée à la main, puis à l'aide d'un cabestan. Ce système permet d'exercer 40 tonnes de pression sur la porce.
Après le pressage, chaque feuille est séparée de son feutre et étendue pour finir de sécher.
Dans l'ancien temps, les feuilles étaient pliées en deux sur des cordes à linge. Aujourd'hui elles sont fixées à ces mêmes cordes par des sortes de pince à linge, deux par deux, pour que le séchage se fasse lentement, et ainsi que la feuille reste le plus plate possible.
Le papier est ensuite entreposé à plat pendant plusieurs semaines, avant d'être laminé : chaque feuille passe entre deux rouleaux métalliques, ce qui va à la fois contribuer à l'aplanir et faire apparaître un grain à la surface.
Enfin, le papier est ébarbé : les bavures des bords de la feuille sont retirées au couteau.
L'été est également produit un papier préparé par les bouquetières : elles confectionnent une feuille de papier blanc, qu'elles laissent égoutter un peu, mais ensuite, au lieu de coucher le papier, elles le posent devant elles et vont venir y déposer, une à une, des fleurs et des feuilles. Une fois leur composition terminée, elles versent un peu de pâte à papier diluée sur leur composition pour fixer les fleurs dans le papier. Elles vont ensuite ajouter leur production à la porce du Maître Papetier pour qu'elle soit pressée avec.
Ainsi, contrairement au papier à inclusions florales, où les fleurs sont réparties au hasard et sur toute l'épaisseur du papier, le papier des bouquetières présente un motif choisi, uniquement à la surface du papier.
Ce moulin a notamment fourni le papier de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, au XVIIIe siècle, de l'exemplaire ratifié de la Vème constitution, en 1958, ainsi que des supports pour des artistes tels Picasso ou Dali.
Actualité brûlante : le moulin a reçu la semaine dernière le label "Entreprise du Patrimoine Vivant".
Le Moulin propose des ateliers d'initiation à la fabrication du papier. Mon chéri et moi étions les seuls adultes inscrits à cette activité, mais ce n'est pas ça qui allait nous arrêter...
Chacun son tour, on nous a donné un redable pour remuer la pâte dans une cuve (plus petite que celle du Maître Papetier), puis une forme, plus petite également (format A4 pour nous. Je crois que le Maître manipulait un format A2). On a plongé notre forme dans la pâte à papier (c'était rigolo, on avait la moitié des avant-bras recouverts de pâte à papier). Petits joueurs, on a laissé la forme s'égoutter simplement en la maintenant horizontale. Ensuite on a retiré la couverte et couché la feuille sur un feutre.
Puis nous avons positionné nos deux feuilles avec leurs deux feutres sur une mini-presse à main avec l'animatrice qui suppliait « allez-y doucement, cette presse est prévue pour des enfants, si vous serrez trop fort vous allez nous la casser ». Elle a ensuite placé nos feuilles légèrement essorées (toujours dans leurs feutres) dans un carton plié en deux, en nous demandant de la garder à plat, puis, en arrivant chez nous, de laisser sécher nos feuilles à l'air libre et à l'horizontale pendant deux jours, puis de les laisser quelques jours sous une grosse pile de livres.
Tadam !
L'on voit là encore le cœur fascé en haut à gauche. On ne distingue là ni chaînettes ni vergeures. On peut voir que les petites fleurs sont dans la masse du papier : tantôt dessus, tantôt derrière, tantôt dedans...
Maintenant la question que nous nous posons tous : et est-ce que ce papier convient aux stylos-plumes ?
Pour mon goût, ce n'est quand même pas l'idéal.
Voici une page de test.
Donc, si vous utilisez une plume fine, et qu'un rendu artisanal et irrégulier trouve grâce à vos yeux, c'est un très beau papier, qui fournit une expérience d'écriture originale et intéressante.
Mais, malgré l'essence de pin ajoutée, c'est un papier très absorbant. Comme me l'a fait très justement remarquer Jddegap, les papiers absorbants ne confèrent pas d'ombrages aux encres déposées dessus.
Si vous utilisez une plume moyenne, large ou italique, ça risque de fougériser un peu par endroits. Mais ça passe encore à peu près.
En revanche, si vous faites de la calligraphie, vous ralentissez le geste, et le papier va boire pas mal d'encre, augmentant le risque de fougérisation.
De même, si vous utilisez une plume flex, attendez-vous à une couleur hyper-foncée et qui fougérise.
En résumé, écrire au stylo-plume oui (surtout avec une plume fine et une écriture rapide), mais faire de la calligrahie non. Ce que je trouve quand même dommage pour un papier présenté comme luxueux.
Je n'ai pas encore fait de test d'écriture sur du papier à inclusions florales, mais j'ai peur qu'il y ait de fortes disparités de comportement, par exemple qu'écrire sur une fleur offre plus de glisse et moins d'absorption.
Pour aller plus loin
- le site du moulin que j'ai visité, Richard de Bas, en Auvergne
- le site du moulin de Vallis Clausa, en Provence, qui avait été mentionné dans ce fil de la section calligraphie pour leur rééédition d'un ancien manuel d'écriture
- les sites d'autres moulins à papier
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